Printemps 2018 : saison royale pour Sylvie Testud ! Dans Comme des rois, de Xabi Molia, une comédie sociale insolente et un des meilleurs films du moment, l’actrice incarne une héroïne de la France d’en bas qui, avec son époux (Kad Merad), se démène pour échapper à la misère. Changement de registre dans Final Portrait, de Stanley Tucci où Sylvie Testud campe Annette Giacometti, la femme du peintre et sculpteur Alberto Giacometti. Une fiction contemporaine et un biopic historique… Depuis ses débuts, l’actrice multiplie les métamorphoses et n’aime rien tant que rebondir là où ne l’attend pas. Non contente d’avoir interprété de grands rôles dans des films couronnés de succès (Sagan, de Diane Kurys) et d’avoir remporté deux César (pour Les blessures assassines, de Jean-Pierre Denis, en 2001, et pour Stupeur et tremblements, d’Alain Corneau, en 2004), Sylvie Testud, fidèle à elle-même, continue de mener une carrière plurielle et surprenante. Une carrière balisée, entre autres, par l’écriture de plusieurs livres devenus des best-sellers (Il n’y a pas beaucoup d’étoiles ce soir, Gamines) et par un passage remarqué derrière la caméra en 2012 avec La vie d’une autre, un film où elle dirigeait Juliette Binoche et Mathieu Kassovitz. Le cinéma et la littérature, ses choix, ses désirs et ses refus : l’actrice s’explique.
Qu’est-ce qui vous a attirée dans l’aventure de Comme des rois ?
Xabi Molia est un auteur, un vrai. Et c’est de plus en plus rare. J’ai aimé l’histoire simple et forte de Comme des rois. Il n’y a aucune manipulation, aucun souci du spectaculaire pour le spectaculaire dans ce film. Ce n’est pas le cas dans tous les projets que je reçois. Bref, je n’ai pas hésité une seconde à m’engager, même si je ne joue pas le premier rôle. Mieux vaut un bon second rôle qu’un mauvais premier rôle !
Le film flirte avec la comédie, mais il évoque des thèmes rudes : le chômage de longue durée, la précarité…
Le film slalome entre les genres et il n’est pas simple de le caractériser. Tant mieux ! Je n’aime pas les compartimentages : comédie, drame, comédie dramatique, pour moi, ces appellations ne signifient rien. Il y a des films qui ont des choses à dire et qui entraînent dans leur univers, et d’autres non, voilà tout ! Disons-le clairement : Comme des rois met en scène de gens qui sont dans « la merde », mais il refuse le misérabilisme. Le film ressemble à la personnalité de Xabi Molia : un type cultivé, super intelligent et très drôle. Ça fait beaucoup de qualités pour la même personne !
L’originalité de Comme des rois ne se rencontre pas tous les jours sur les écrans.
Rien n’est simple pour les projets ambitieux et singuliers. Certains films que j’ai tournés à mes débuts et qui ont rencontré du succès — par exemple Karnaval, de Thomas Vincent — je ne suis pas sûre qu’ils trouveraient des financements aujourd’hui. Les prises de risques et l’audace sont de moins en moins de mise, ce qui est regrettable. Pour oser une métaphore culinaire, je dirais que, à force de vouloir absolument cuire le poulet comme-ci à droite et comme-ci à gauche, on risque de se retrouver avec un poulet mal cuit et sans aucun goût… Je tourne actuellement dans Convoi exceptionnel, le nouveau film de Bertrand Blier, avec Gérard Depardieu et Christian Clavier. Et bien même lui, Bertrand Blier, pourtant un des cinéastes français les plus importants des dernières décennies, a eu du mal à produire son film !
On vous retrouve en juin dans Final Portrait, un film signé Stanley Tucci qui évoque Giacometti. Il s’agit d’un changement total de registre par rapport à Comme des rois…
J’ai aimé tourner dans ce biopic réalisé par un cinéaste qui possède aussi une longue carrière de comédien derrière lui. Les films tournés par les acteurs prennent souvent des risques. Stanley Tucci est d’origine italienne, il a beaucoup bourlingué aux Etats-Unis, il vit avec une Britannique à Londres et il tourne un film sur un autre déraciné : le Suisse Giacometti. Cet éclectisme a tout pour me séduire.
Tout au long de votre carrière, vous avez souvent tourné à l’étranger.
La moitié de mes films ont été tournés hors de France ! Ce n’est pas un hasard. Depuis toujours, je suis d’un tempérament curieux. Je suis attirée par ce que je ne connais pas. J’aime être intriguée. J’ai beau être très fidèle dans ma vie privée et dans mes amitiés, la perspective d’avoir toujours les deux pieds au même endroit m’angoisse.
À ce point ?
Oui. Ne plus bouger, pour moi, c’est l’horreur ! La preuve : je déménage tous les deux ans. J’ai toujours besoin de me projeter. Et donc de tourner des films ailleurs qu’en France et de découvrir d’autres pays et d’autres cultures. Les gens qui, chaque été, partent en vacances au même endroit, pour moi, c’est terrible. Vive le mouvement permanent !
Vous avez toujours multiplié les aventures artistiques : vous avez écrit plusieurs livres, vous avez tourné un film en tant que réalisatrice (La vie d’une autre)…
J’ai besoin de changer régulièrement de registre, même si toutes mes activités se rejoignent. Si j’avais un quelconque don de chanteuse, ce qui n’est pas le cas, je m’y serais peut-être risquée, comme tant d’autres actrices. Je comprends très bien leur désir. Pour moi, écrire est une sorte de récréation. Je le fais par définition toute seule dans mon coin et cela m’équilibre par rapport au sport collectif qu’est le cinéma.
Ces autres activités ont-elles changé le regard que les cinéastes portent sur vous ?
Un peu, parfois… Quand mon premier livre, Il n’y a pas beaucoup d’étoiles ce soir, a été publié en 2003, j’ai parfois senti de la méfiance dans le regard des autres, comme si le simple fait d’écrire, même très modestement, impliquait que je passais inéluctablement du côté des intellos. Du coup, certains cinéastes — pas tous heureusement ! — semblaient ne plus pouvoir s’adresser à moi de la même manière. Débile ! Cela dit, globalement, je n’ai pas reçu moins de propositions après la publication de mes livres. Les gens se sont habitués…
Vous allez donc continuer à écrire ?
Bien sûr. De toute façon, je n’ai pas le choix : je sais désormais que j’en ai besoin. Écrire me fait rire, prendre de la distance avec les choses et me fait profondément du bien. La vie me semble plus drôle que triste quand j’écris. Si, un jour, j’écris un livre triste, cela voudra probablement dire que je ne suis pas loin de la fin du parcours (rires).
Et la réalisation. Souhaitez-vous récidiver après La vie d’une autre ?
Je reste sur un échec, puisque le tournage du second film que je devais réaliser a été annulé quinze jours avant l’échéance. Mon premier avait pourtant honorablement marché avec 500 000 entrées. Tout le monde ne peut pas en dire autant ! Ce projet avorté au dernier moment a balayé deux ans de travail intense et, inévitablement, j’ai subi un gros coup de mou quand tout s’est effondré. De cette triste aventure, j’ai tiré un livre : C’est le métier qui rentre, qui raconte mes déboires avec humour. En rédigeant ce livre, j’ai transformé ma déprime et ma colère en ivresse d’écriture ! Paradoxe : le bouquin a ensuite été adapté par Diane Kurys dans un film intitulé Arrête ton cinéma ! et où j’incarnais le rôle principal.
Du coup, pas d’autres projets derrière la caméra ?
On verra… Je n’ai pas tiré une croix sur la réalisation, mais encore faut-il que j’éprouve l’urgence nécessaire pour passer à l’acte. Pour l’heure, mes projets personnels tendent plutôt vers l’écriture.
Et en tant qu’actrice ?
Les perspectives ne manquent pas. Je vais prochainement jouer dans la série Eden, mise en scène par Dominik Moll pour Arte. La série évoque le sort des migrants, aujourd’hui et le sujet est évidemment important. Je vais aussi tourner dans le prochain long métrage de James Huth, avec lequel j’ai déjà travaillé sur Lucky Luke. J’ai également d’autres projets de longs métrages, mais, comme ils ne sont pas encore finalisés financièrement, je préfère ne pas les évoquer. Ça pourrait leur porter la scoumoune et je sais de quoi je parle !
Des succès au cinéma et en librairie, deux César, des tournages partout dans le monde… Vous vous imaginiez un tel parcours à vos débuts ?
Pas du tout ! Quand j’étais adolescente, mon objectif était très simple : quitter Lyon, ma ville natale, pour venir à Paris. Pour moi, c’était l’endroit où il y avait de l’énergie, l’antithèse de la sclérose. Cependant, quand je suis arrivée dans la capitale, je n’avais pas la moindre idée de ce que j’allais y faire. La preuve, j’étais inscrite en fac d’histoire, la solution d’attente par excellence (rires). Certes, j’aimais le théâtre, le cinéma, mais quand j’ai commencé à prendre des cours et à jouer, je n’imaginais pas un seul instant pouvoir mener une telle carrière et m’éclater à ce point ! J’ai eu de la chance et j’ai su saisir les opportunités qui se sont présentées.
Si vous n’étiez pas devenue actrice, qu’auriez-vous fait ?
Mystère total… Probablement une activité en rapport avec la construction, dans le sens le plus large du terme. Quand je déménage, ce qui m’arrive donc souvent (rires), je m’occupe de tout jusqu’à la moindre peinture et j’adore ça. Quand je suis active, quand je bouge, quand je crée, je vais bien.
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