Depuis deux ans, Lise s’est éloignée petit à petit de Jean-François, son compagnon. Aujourd’hui, elle pense ne plus l’aimer mais ne peut se résoudre à le quitter. Parents de jumeaux de 5 ans, ces Lyonnais de 42 et 45 ans, vivent comme des colocataires et jouent le couple parfait devant la famille, les amis… et leurs deux fils. « J’ai de l’affection pour mon conjoint mais ce n’est plus de l’amour, d’ailleurs notre vie sexuelle est proche du néant, confie Lise. Même si nous nous disputons régulièrement, j’aime ce que nous avons construit ensemble, notre foyer, notre famille. Je ne veux pas tout détruire, briser notre couple et le cœur de mes petits garçons. » Comme Lise et Jean-François, de nombreux couples qui ne partagent plus grand-chose à part leur rôle de parents, n’arrivent pas à se séparer et « restent pour les enfants »
La peur de les traumatiser
« J’entends constamment cet argument dans mon cabinet, remarque Alice de Lara, thérapeute de couple*. Surtout quand les enfants sont jeunes, en particulier lorsqu’ils ont moins de trois ans, il y a une grande crainte des traumatismes que la séparation peut leur causer. » Une peur particulièrement forte pour les adultes qui ont eux-mêmes vécu le divorce de leurs parents et qui en ont profondément souffert : ils savent ce que leurs petits chéris risquent d’endurer. « Même si les séparations sont statistiquement plus fréquentes, elles restent un grand choc émotionnel pour les enfants et les parents en ont conscience », rappelle Béatrice Copper- Royer, psychologue clinicienne, spécialiste de l’enfance et de l’adolescence**. Ils ont peur de leur faire de la peine, de les traumatiser. Mais derrière cet argument se cachent souvent d’autres sentiments. Le premier ? Ils ont peur de se séparer d’eux et ne plus les voir grandir. « Pour ces parents, même s’ils sont malheureux, il est inimaginable de se dire qu’ils ne verront plus leur enfant au quotidien, qu’ils rateront des moments clés de leur enfance en ayant la garde une semaine sur deux ou le week-end et la moitié des vacances scolaires, analyse Alice de Lara. » Voilà pourquoi certains attendent l’adolescence pour franchir le pas : à cet âge, les bambins devenus grands sont plus autonomes, et ont moins besoin de papa et maman. Les parents assument alors davantage leur décision. « Après douze ans, les fondations ont été posées, les enfants commencent à avoir une vie affective et se détachent, indique Béatrice Copper-Royer. Les séparations font alors moins de dégâts. Rester pour les protéger, pour ne pas leur faire de mal, est une décision tout à fait respectable, si la vie à deux n’est pas insupportable. » Si certains ont du mal à envisager une séparation, c’est aussi qu’elle fera voler en éclat l’image de la famille parfaite dont ils ont rêvé. « Certains couples préfèrent rester ensemble plutôt que d’assumer leur échec, et réaliser que la belle histoire ne se termine pas comme prévu », assure Alice de Lara. Ils ont peur de l’inconnu, du vide, de la solitude. « Je remarque que, souvent, les enfants sont une formidable excuse pour rester, constate Béatrice Copper-Royer. Si le couple ressent une certaine lassitude, que la relation est bancale mais sans être violente ni toxique, chacun peut y trouver son compte : ils ont plus à gagner à continuer à deux qu’à rompre. » Il faut que la relation soit devenue véritablement invivable ou que l’un des deux ait rencontré quelqu’un pour que la rupture soit décidée. « La séparation est un acte douloureux, qui fait beaucoup de dégâts et qui est souvent l’ultime solution, observe la psychologue. Ce n’est pas uniquement un couple qui se sépare mais une famille, des amis, des belles-familles, un logement à quitter, un niveau de vie qui baisse… »
Un choix personnel à assumer
Une chose est certaine : rester pour les enfants est un choix personnel et il est important de ne pas le leur faire payer. « Les parents qui continuent ensemble ne doivent pas adopter une attitude sacrificielle et le reprocher ensuite à leur progéniture, met en garde Béatrice Copper-Royer. Il ne faut pas leur dire “je suis restée avec ton père à cause de toi”, cela les mettrait dans une position de dette dont ils se sentiraient redevables toute leur vie. » Au-delà des enfants, l’attachement à l’autre fait que de nombreux couples ne se séparent pas. « Il existe encore des sentiments forts qui relient ces partenaires dans la vie, ajoute Béatrice Copper-Royer. Il peut s’agir d’un passage à vide qui sera surmonté : les histoires de couple ne sont jamais linéaires… »
* conseilconjugal.com
** copperroyer.fr ; autrice d’Et la famille recomposée ? Difficile, mais pas impossible (Solar)
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