C’est un tableau qui peut la rendre dingue. Quand Hélène, 42 ans, voit son fils de 9 ans jouer sur la tablette familiale, elle éprouve comme un malaise : « Il est complètement obnubilé par l’image. Quand je lui parle dans ces moments-là, je dois m’y reprendre à deux voire trois fois pour qu’il m’entende. Comme s’il était littéralement aspiré par ce qu’il regarde. » Et comme beaucoup d’autres parents, la jeune femme se demande si son enfant ne passe pas trop de temps sur l’écran.
L’enfant, miroir des parents
Cette question, les spécialistes du sujet l’entendent souvent de la part des parents. Mais est-elle bien formulée ? « Autour des écrans se joue une flemme intellectuelle sur le contexte dans lequel se déroule cette situation », estime Michaël Stora, psychologue, fondateur-président de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH) et auteur avec Anne Ulpat de Hyper connexion (Larousse). Et d’expliquer : « Cela révèle d’autres problèmes, notamment la difficulté des parents à mettre des limites. Les écrans constituent de nouveaux enjeux d’autorité et les confrontent à la question d’être “détestés” s’ils en restreignent l’usage. » C’est aussi l’occasion de nous pencher sur nos propres utilisations. Nous estimons que nos enfants jouent trop à la tablette mais qu’en est-il de nous ? « Quand ils se sentent coupables, les parents deviennent les pires juges ! », note Michaël Stora. Pour la psychiatre Marie-Noëlle Clément, membre fondatrice, avec Serge Tisseron, de l’association Trois Six Neuf Douze(1), « avant de regarder son enfant, on peut regarder où on en est soi-même : le petit est le produit d’une éducation et a envie de “faire comme” le parent. » Rien d’étonnant, si nous nous précipitons sur notre téléphone dès qu’il émet un borborygme ou que nous passons à table portable à portée de main, que notre descendance soit elle aussi « écran addict ». Pour le psychiatre Serge Tisseron, auteur de 3-6-9-12 Apprivoiser les écrans et apprendre à grandir (Érès), « pas de console personnelle avant 6 ans. Si les parents achètent une tablette, il convient de rappeler à l’enfant qu’il s’agit d’un objet familial et qu’il est un usager parmi les autres. »
Chatons mignons et youtubeurs
Avec les tablettes se pose également la question du contenu. Ce n’est pas la même chose de regarder quinze minutes de vidéos de chatons mignons que de les passer sur un jeu de stratégie. D’où la nécessité de prendre le temps d’en parler, de regarder ensemble les programmes, de les sélectionner. Serge Tisseron propose de privilégier les activités de création. Celles qui permettent d’élaborer son propre film, par exemple. Pour les parents un peu perdus, Julie Kuhn, ancienne institutrice, propose sur son site Super-Julie(2), les meilleures applis ludo-éducatives disponibles sur le marché. Mais cela ne résout pas tout à fait le problème de Corinne, 45 ans, dont les deux enfants – une fille de 11 ans, un garçon de 9 ans – ont fait des youtubeurs leurs nouvelles idoles. « On ne va pas se mentir, j’ai jeté un coup d’œil, je trouve ça assez bas-de-plafond ! » Et de se désoler de la passion de son benjamin pour Squeezie dont il regarde les vidéos en boucle. « Les youtubeurs sont de jeunes adultes qui s’adressent à un public de 8-11 ans, note Marie-Noëlle Clément. Cela peut créer un décalage compliqué. Mais certains d’entre eux sont plus responsables que d’autres. N’oublions pas que nous ne regardions pas toujours des programmes de haut vol, à l’âge de nos enfants. Et ces youtubeurs nourrissent les échanges avec les copains à la récré. » Et si ce « coup d’œil » de Corinne n’était pas suffisant ? Pour la psychiatre, il importe de « ne pas juste porter un regard péjoratif. Nous adultes, jugeons souvent en nous fiant à ce que nous avons entendu mais pas nécessairement vu. Connaître permet de discuter, de dégager un contenu critique. » Michaël Stora renchérit : « L’enfant nous montre des choses de son monde à lui. On peut aller regarder Norman ou Cyprien avec lui, puis en parler ensemble. Si on fait de la tablette une alliée, elle devient un support à discussions. »
De la confiance en toute chose
Faire de la tablette une alliée plutôt que le Grand Satan. Et avoir en tête que rien n’est gravé dans le marbre. « Il est toujours temps de revoir les règles en régissant l’usage, estime Serge Tisseron. Le temps des vacances me paraît un bon moment pour renégocier les choses. Les rythmes changent, on peut en tirer parti pour procéder à des ajustements. » Et, au-delà du seul enfant, réfléchir à une « hygiène familiale », comme le dit Marie-Noëlle Clément autour des objets numériques : pas de smartphone à table, équilibrer les activités sur tablette et les autres, décider que, le soir, les écrans restent dans un tiroir. Et faire confiance, notamment quand l’adolescence pointe le bout de son nez. Comme le rappelle Michaël Stora, « c’est quand les parents sont trop inquiets que les ados transgressent. »
(1) www.3-6-9-12.org
(2) www.super-julie.fr
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