Tout va objectivement plutôt bien et on est fière du chemin accompli : les dernières décennies nous ont permis de construire notre univers tant professionnel que social et personnel. Pourtant, il arrive parfois que l’on ait des bouffées de vague à l’âme, qu’on se réveille chiffonnée, avec un léger ras-le-bol général, et la sensation d’un vide au creux du ventre ou du cœur. Quand on ose en parler autour de soi, on ne trouve pas toujours d’écoute compréhensive : « on a tout, ne ferait-t-on pas juste un peu la fine bouche, la difficile ? Ne peut-on pas apprécier ce que l’on a ? C’est quoi cette crise ? » On tente de se faire une raison, mais le malaise, diffus, s’accroche. D’où vient ce blues lancinant ? Pour le Docteur Christophe Fauré, psychiatre et auteur de Maintenant ou jamais ! La transition du milieu de vie, il se passe indiscutablement quelque chose, après 40 ans, qui nous transforme et va perturber notre ordre établi.
« Nous avons tort de croire qu’une fois à l’âge adulte, nous sommes immuables, figés, qu’il ne se passe plus rien en nous, et que tout est posé de façon définitive. Au contraire, nous continuons d’évoluer ! Et il est certain — et établi par les travaux de recherche en psychologie — qu’à la maturité, s’opère chez chaque personne une sorte de “questionnement existentiel” qui induit une remise en cause et en perspective des acquis, même solides, de son existence. Doutes sur soi et sa vie, angoisses, manques, insatisfactions, nouvelles envies, besoin impérieux de trouver du sens et de se sentir en accord avec soi-même vont alors surgir ».
Cette dysharmonie avec la réalité du quotidien s’installe lentement mais sûrement à partir de la quarantaine, ou un peu plus tard en fonction de chacun, son chemin personnel et ses épreuves traversées (divorce, deuils, maladies, licenciements). Mais le processus se déclenche, venant nous chahuter en profondeur et nous (re)mettre sur la sellette.
Transformations intimes
Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une « crise », mais d’une transition inévitable. Une évolution naturelle, intérieure, individuelle, avec des périodes de calme et de stabilité, suivies de vagues ou d’à-coups où l’on peut tout remettre en question : sa vie, son job, son couple, sa famille, son réseau social, ses objectifs… et parfois tout à la fois ! Un phénomène dont on parle peu, expliqué en partie par la pyramide de Maslow, théorie élaborée dans les années 40 par le psychologue du même nom qui décrit une hiérarchie des besoins humains dans la culture occidentale. Selon lui, quand un niveau est atteint, même incomplètement, le suivant se révèle, s’impose au sujet, et la recherche personnelle continue : après les besoins physiologiques (manger, respirer, dormir…), de sécurité (physique et psychologique), d’appartenance et d’amour, d’estime (de soi et de la part des autres), surviendrait le besoin d’accomplissement de soi.
Écouter sa petite voix
On peut ainsi être une bonne — ou du moins la meilleure possible — épouse ou compagne, mère, fille, soeur, amie, professionnelle, et avoir envie, désormais, de vivre autre chose et finalement d’être « plus que cela ». Rien d’étonnant car notre première partie de vie s’est tournée vers l’extérieur et la société : depuis la naissance, nous jouons le rôle social qui nous a été attribué, nous nous comportons et nous adaptons pour plaire, réussir et mieux vivre avec les autres.
« Cette personnalité sociale, qui n’est qu’une facette de nous-même, peut parfois prendre une dimension de carcan, dans lequel on se sent de plus en plus à l’étroit et qui se fissure… Quand surgissent d’autres aspirations — parfois contradictoires —, qu’on fait le point sur ce qui a été et sur ce qui n’a pas été, on peut alors se sentir dans un “no man’s land psychologique” insécurisant, qui sonne le glas d’une époque, venant remettre en question ce que nous sommes et l’image que nous avons de nous-même » explique le psychiatre.
Mais cette période un peu sombre, parfois perturbante, anxiogène, voire douloureuse, permet de révéler une quête de sens nouvelle pour la nouvelle période de vie qui s’offre à nous : car à 40 comme à 55 ans, il reste beaucoup à vivre ! Ces questionnements et remises en questions signifient que notre niveau de conscience s’élève, et le mouvement qui vient ainsi nous animer à la maturité nous pousse à nous tourner désormais vers l’intérieur. On aurait donc tort de faire taire cette petite voix en prenant ses envies d’autre chose — même si on ne sait pas encore bien quoi — pour des caprices d’adulte gâtée qui n’a plus que cela à penser. Elle est, au contraire, ce que le psychanalyste Carl Jung nommait le « processus d’individuation », ce chemin personnel sur lequel s’ordonnent les différentes composantes de notre être et qui fait émerger une forme de spiritualité (qu’elle soit religieuse ou laïque), qui participe de la quête de sens nécessaire à chacun. Un chemin qui ne dépend que de nous et de nos décisions face aux événements, et se révèle parfois difficile à suivre, mais promet de mener à l’harmonie, de trouver de nouvelles forces, et un bel équilibre.
… Et trouver sa voie
D’autant qu’il n’est nul besoin de tout envoyer valser, poser sa démission, divorcer et partir vivre au bout du monde ! Les changements peuvent s’opérer en douceur, et relever plus de l’évolution que de la révolution. Il faut simplement faire une sorte d’état des lieux, suivi d’un ménage : on peut supprimer certaines choses du passé, en garder d’autres, en recycler ou transformer, pour en laisser survenir de nouvelles qui tiennent enfin compte de nos aspirations profondes, de nos rêves enfouis d’autrefois, de nos capacités laissées de côté. « Il faut se donner l’autorisation de ces changements sans se refuser ce cadeau, cette porte d’entrée vers notre seconde moitié de vie, recommande le Docteur Fauré, et c’est maintenant qu’il faut y réfléchir, prendre les décisions qui s’imposent : il est trop tôt pour renoncer mais bientôt, il sera trop tard. » Refuser les questions de son paysage mental et émotionnel pourrait même, selon lui, se révéler dangereux, pouvant mener plus tard à une crise violente, une dépression, du mal-être, une amertume ou de l’aigreur. Ce qui implique non seulement de percevoir ces mouvements subtils de notre être, mais aussi de les accepter, de s’ajuster à soi-même pour comprendre ce qui est bon pour nous et accéder progressivement à ce qui nous est essentiel.
S’épanouir au lieu de se recroqueviller
Le travail n’est pas simple, car il nous confronte à nos peurs, notre résistance naturelle au changement et au chaos, et nos croyances limitantes qu’il faut reconnaître comme telles et dépasser pour avancer. L’essentiel est de ne pas voir cette transition comme un déclin (ce que la société voudrait souvent nous fait croire), mais à l’inverse comme un épanouissement, sans nous mettre en retrait et en gardant intacte notre curiosité. Il ne s’agit pas de gagner un piètre « lot de consolation » pour l’avenir et la vieillesse, mais de révéler ce qui a souvent été enfoui, pour atteindre la « complétude » : devenir une personne pleine et entière. Une quête forcément exigeante, longue, subtile et difficile, mais avec à la clef un accord avec nos aspirations, désirs et convictions profondes, plus de recul et de souplesse, de paix et de cohérence. Sans céder aux sirènes du développement personnel à tous crins, il est temps de décider de donner du sens à son existence, de s’ouvrir aux possibles. Il ne s’agit pas de devenir un leader, mais plutôt un modèle inspirant, une personne qui « fait envie », qui transmet, reste en phase avec le monde et avec elle-même. Ça secoue ? Certes, mais cette quête est une invitation qui ne se refuse pas…
À LIRE POUR RÉFLÉCHIR
• Maintenant ou jamais ! La transition du milieu de vie, du docteur Christophe Fauré (Albin Michel) : couple, métier, famille… Avec une grande sensibilité, et beaucoup d’exemples et de conseils concrets, ce psychiatre aide à se poser les bonnes questions pour faire des choix et émerger sereinement de cette période trouble en avançant en confiance.
• S’il te plaît, aide-moi à vivre, de Jeanne Siaud-Facchin (Odile Jacob) : sans être ciblé sur la maturité, cet ouvrage plein de douceur aide à puiser dans ses ressources, et montre en quoi la psychologie peut aider à mieux vivre.
• Sauvez votre peau, devenez narcissique, de Fabrice Midal (Flammarion). Dans une période où il faut apprendre à s’écouter, pour mieux se retrouver, ce guide pratique permet de se réconcilier avec soi (à ne pas confondre avec l’égoïsme), pour développer de meilleurs rapports avec les autres.
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