La vie de famille est une course de fond, avec, qu’on le veuille ou non, des engagements au long cours. Tôt ou tard, avec la fratrie, les parents, la belle-famille, des tensions, des conflits se profilent, sur des questions de territoire, de sentiment d’injustice, de jalousie, de rivalité, d’attente affective. Et si l’on vient d’un clan où l’on se crêpait facilement le chignon, grande sera la tentation, parfois inconsciente de recommencer avec la belle-famille. En vacances au mas familial, Marc et Corinne ont la plus jolie chambre ; est-ce à dire que notre belle-mère préfère ce couple au nôtre ? La belle-soeur Clothilde nous a lancé « il est joli ton petit chemisier ? ». Cela part d’une bonne intention mais pourquoi a-t-elle ajouté « petit » ? Si l’on n’est pas sûre de soi, on va ruminer et à la première occasion, lui envoyer une vacherie. Ainsi démarre le conflit, souvent à partir d’un grain de sable. De piques en coups de gueule, la chamaillerie s’enkyste et peut évoluer en guerre froide. On peut rompre définitivement avec des amis, avec la famille, c’est plus compliqué. Cela retentit sur les réunions, les fêtes, les anniversaires. Ver dans la pomme, un conflit entre deux membres gagne tout le clan ; il y a bientôt le camp des « pour X » et le camp des « pour Y ». Si l’on ne peut l’éviter, on peut au moins désamorcer un conflit familial.
Identifier les vraies raisons d’une brouille
En famille, belle-famille ou famille recomposée, on ne se brouille plus comme autrefois pour des histoires de mésalliance, d’héritage, mais plus pour des raisons liées à l’intime, la bonne distance, les habitudes. Société individualiste oblige, on se choisit sans l’intervention des parents et sauf dans certains milieux traditionnels, les questions du patrimoine, de la succession, ne sont pas un enjeu ou un frein à l’union. La passion plus que la raison dicte nos choix. Avec la fratrie, il s’agit de conflits qui tournent autour de la rivalité, de la jalousie et ne datent pas d’hier, seul le motif change avec les années. On n’en veut plus à notre soeur aînée parce qu’elle a de meilleures notes en maths mais parce qu’elle a une vie plus confortable que la nôtre, un sens du rythme plus glamour etc. Tout se répète, se cristallise sur les cadeaux que l’on s’offre sous le sapin (ceux qui nous déplaisent et que l’on revend sur les plateformes en ligne…). Avec la belle-famille, ce sont davantage des discordes liées aux obligations ; Noël chez l’aïeule à la Baule, la moitié des congés payés avec les cousins-cousines, les beaux-parents. On les aime bien mais de là à rejouer la colo pendant les vacances, il y a un pas. « L’esprit de famille dépend de la représentation que chacun(e) s’en fait. Pour les uns, elle engage à une présence inconditionnelle, une participation matérielle, pour d’autres, rien. Tout le monde a besoin d’un sentiment d’appartenance, mais pas au prix de concessions importantes » explique Catherine Audibert, psychanalyste(1). Ce que Dominique Picard appelle « le mythe familial »(2), cette idéologie de référence qui structure la famille et définit les rôles, les règles. Chaque famille ayant son mythe, ses coutumes, la promiscuité favorise les incompréhensions. Derrière un désaccord se cachent aussi des rancoeurs qui migrent de notre famille d’origine vers la belle-famille, tant qu’elles ne sont pas comprises : « je vois des femmes qui, devenant mère, ne sont plus en conflit avec leur mère mais avec leur belle-mère, celle-ci incarnant les défauts dont auparavant était affublée la mère » reprend la psychanalyste. Sous l’objet de la discorde, cherchez l’enfance, ses manques, ses bouderies, ses règlements de compte.
Saisir le glissement de la brouille à la rupture
Le problème vient souvent de la difficulté à contrecarrer les plans de la famille ou de la belle-famille. On prend sur soi, pour éviter de faire des vagues, mais un jour la coupe est pleine et on balance les griefs de manière plus ou moins habile. La petite brouille devient alors une guerre des tranchées. Comment expliquer à la belle-soeur qui nous reçoit que l’on n’adhère pas aux modalités, aux traditions, sans jeter un froid ? « Il faut expliquer, dédramatiser. Ne pas être là à chaque fois, cela ne veut pas dire qu’on ne s’aime pas les uns les autres mais pour apprécier les moments ensemble, il faut pouvoir vivre de manière satisfaisante sa propre vie, choisir la destination et le mode de ses vacances, par exemple » reprend Catherine Audibert. Un changement amené en douceur, c’est positif ; si cela déstabilise, cela permet à chacun de s’interroger, de redéfinir sa place, son rôle. En revanche, si on accepte dès le départ des habitudes, des rituels, on aura du mal ensuite à faire marche arrière. Les autres vont se demander quelle mouche nous pique, jusque-là on suivait de bonne grâce et maintenant on se fait porter pâle, on devient mesquine ? Une fois que l’on hérite du rôle de la méchante, difficile d’en sortir. Mieux vaut dès le départ poser des limites. En gros, pour préserver son couple, son bien-être, il faut savoir dire non. Mais aussi avoir compris ce qui se rejoue de son enfance, les blessures liées au favoritisme, au manque d’attention, de reconnaissance. Et ce afin de ne pas répéter des situations qui nous piègent sans même que l’on s’en rende compte.
En finir avec l’orgueil, frein à la réconciliation
La brouille s’installe quand chacun(e) monte sur ses ergots, certain(e) d’être dans son bon droit et refusant de baisser sa garde. Or il en faut bien un pour rétablir un contact, se fendre d’un premier pas, certes souvent coûteux mais nécessaire. Spontanément on pense que c’est le plus fautif des deux qui doit prendre l’initiative de la réconciliation. Sauf que la responsabilité de la brouille, c’est souvent 50/50. Il faut être deux à s’embrouiller… « la seule façon de sortir d’un conflit est de le dépasser (…) elle demande ensuite une compréhension des origines, des enjeux et des mécanismes conflictuels » souligne Dominique Picard. En pratique, c’est la personne la moins dévorée par son ego qui prend sur elle et se lance, passe un coup de fil, reparle du conflit, propose de faire la paix au moins pour sauver les réunions de famille et en finir avec le fameux « si Jane est là, je ne viens pas ». « Ce faisant, on fait bouger les lignes dans le bon sens, on n’aura plus le rôle de la méchante ou du punching-ball, on montre que l’on est capable de prendre de la hauteur par rapport aux provocations, aux vengeances » explique Catherine Audibert. Pour reprendre le contact, rien ne vaut un bon prétexte, une bonne occasion : un baptême, un mariage, un anniversaire, les fêtes de fin d’année. Pas la peine de reparler du sujet de la brouille si cela date de plusieurs années, la plupart du temps, la colère est retombée. Mais on peut parler de son ressenti, de son envie de tourner la page. Juste miser sur le plaisir de partager un bon moment et de montrer que oui, on peut changer, être moins susceptible, plus conciliant(e). Que du bonus.
Témoignages
« L’attitude de ma sœur à mon égard a évolué »
Mariane, 44 ans, ingénieure informatique, divorcée, trois enfants
« Avec mes soeurs, on a hérité d’une ferme avec des dépendances. J’ai pris la plus petite avec un beau terrain doté d’arbres fruitiers. L’année dernière, la benjamine, Myriam, m’a proposé d’élaguer quelques arbres. À mon retour, elle en avait rasé la moitié, faisant une provision de bois pour l’hiver. Elle m’a dit “Ces arbres-là te cachaient la vue sur la campagne”. En réponse, je suis allée arracher des fruits et légumes dans son potager. Elle en est restée stupéfaite. Enfant, elle piquait dans ma tirelire, dans mon armoire, aujourd’hui, elle décide à ma place ! J’ai toujours laissé faire, la petite dernière avait tous les droits à la maison. Mais cette intrusion dans mon jardin, c’était la goutte d’eau. Depuis cet incident, Myriam réfléchit à deux fois avant de faire des réflexions au sujet de mes choix, pros ou persos ou de venir se servir chez moi. Elle me voit différemment, comme quelqu’un qui ne se laisse plus dominer ».
« Un clash avec ma belle-soeur a remis les pendules à l’heure »
Jane, 38 ans, kiné, remariée, un enfant.
« Ma belle-famille passe une partie des vacances ensemble dans le chalet familial. L’été la rando, l’hiver, le ski, un rituel de longue date. Quand j’ai rencontré Marc, j’ai trouvé ça formidable, ce côté famille soudée. Mais très vite, on m’a demandé d’y participer à chaque fois. Même si je suis une fille sympa, je ne suis pas “tribu”. Une de mes bellessoeurs a voulu commander, s’imposer, me formater aux moeurs familiales avec lever à 9 heures, visite des grottes, puis épluchage des patates… Je ne me suis pas démontée et j’ai répondu cash : “Les vacances, pour moi, c’est la grasse mat’, la bronzette. Les contraintes, j’en ai assez toute l’année”. Et je suis retournée à mon transat. On ne s’est plus parlé. Quelques mois plus tard, j’ai pris mon téléphone, me suis excusée, dans le but de se rabibocher. Qui a dit qu’on devait être amie avec une belle-soeur ? On ne s’est pas choisies. Je ne passe plus mes vacances avec eux (trop de promiscuité à mon goût) mais de temps en temps un week-end. Mais aujourd’hui on a des relations cordiales, c’est important pour tout le monde. »
« Un sens de la solidarité qui me dépasse »
Véronique, 45 ans, chef de cabine, mariée, deux enfants
« Un de mes beaux-frères est au chômage. Tradition familiale oblige, mon mari, avec le reste de la fratrie, vole à son secours, alimente la cagnotte, paie les impôts… Faire bloc contre l’adversité, c’est leur philosophie, leur force. Un sens de la solidarité qui me dépasse tellement cela implique tout le monde, y compris les pièces rapportées. Tant que ce n’est pas notre budget qui est concerné, cela me va. Récemment, il a proposé à son frère de prendre les enfants en vacances, avec nous, en Italie, cet hiver. Qu’il dépense de l’argent pour eux, passe encore. Mais de là à avoir mes neveux 24 heures sur 24, deux ados en crise, je me sens moins solidaire. Avec mon homme, on a trouvé un compromis : si mes neveux viennent en vacances au ski, je travaille pendant cette période. Par contre, l’été à la plage, pourquoi ne pas les emmener. C’est beaucoup moins de contraintes. »
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