Qui a dit qu’un couple heureux est un couple harmonieux ? Pourquoi faudrait-il que le quotidien à deux soit une zone de repli, voire une chambre capitonnée ? Alors qu’un petit tour sur les montagnes russes, ça requinque à fond la libido, le plaisir d’être ensemble, ça évite que l’autre ne devienne « Paul, ma moitié ». Pas question de promouvoir la crise, la vraie, celle qui mène au divorce, il s’agit d’évoquer la vague, la scène de ménage qui remet du jus dans le bastringue.
Au diable l’injonction au bonheur
Avec le temps, on porte les mêmes espadrilles, l’un finit les phrases de l’autre. C’est l’effet du quotidien, la fusion, le doux ronron. Et puis il y a ces injonctions au bonheur, au bien-être. Il faudrait tout réussir, son mariage, son divorce, ses bonsaïs. Un jour, on n’en peut plus de ce couple merveilleux qui fait la salutation au soleil, mange équilibré et évite les sujets qui fâchent. Résultat, chacun prend sur soi et ravale ses frustrations. Certains se réfugient dans la bouderie, une attitude plus masculine que féminine. Comment gripper la machine pour devenir un couple plus vrai, plus spontané ? En changeant d’attitude, pour commencer. Si, habituellement, on est celle qui cède, alors on va se rebiffer, quitte à faire dire à Paul : « Hey, t’as de la fièvre ? » En quelque sorte, oui. La fièvre du renouveau. Le lendemain, on n’écoute même pas quand il dit « demain, y a la Ligue des champions, je peux inviter des potes ? » S’il insiste, on montre les dents, bien décidée à en finir avec ce nous, ce moi, ripolinés. Il va réagir, obligé. Poser des questions, nous prendre la température au front. Il va se remettre en question quand la vaisselle débordera de l’évier et qu’on regardera en boucle La Nuit des zombies. Il s’agit de faire moins d’efforts, qu’on sorte un peu du refoulé. « Une crise, c’est bon pour le couple et pour sa dynamique, si l’on sait en faire quelque chose, assure Caroline Kruse*, conseillère conjugale. Le couple en sortira différent ? Tant mieux ! Avec une crise, les cartes sont rebattues, le regard sur l’autre change et ça, c’est positif. » On gagne toujours à sortir de la zone de confort, à se bousculer pour provoquer un changement, sans craindre de tout casser. Plus de tumulte égal plus de vie. On n’en peut plus des morts-vivants politiquement corrects.
L’art d’être cash sans casse
Pas mal de couples se quittent après avoir encaissé bien des situations inconfortables. Alors que s’ils avaient réagi vite, ils n’auraient pas présenté à l’autre une addition lourde. Bien sûr qu’une crise ne sonne pas à la porte avec des fleurs, il y a des reproches, des mécontentements, mais on n’est pas obligé non plus d’envoyer des crochets ni d’attaquer l’autre sur ses défauts. « On peut dire ce qui ne nous convient pas sans accuser, privilégier le “je” au “tu” », continue Caroline Kruse. Mieux vaut un « Je ne me sens pas exister dans ta vie », plutôt qu’un « Tu ne penses qu’à ta pomme ». Dans un cas, on parle de soi, de ses émotions, dans l’autre, on met en défaut quitte à blesser, à vexer. En prenant des gants, on peut arriver à se parler franchement et calmement (autour d’une table, ça fait une frontière au cas où on aurait envie de lui tirer la barbichette). Oui, on aimerait qu’il gagne de l’argent, non, on ne croit pas à son projet de faire de la sophrologie adaptée aux chats et aux chiens. On est plus fourmi que cigale, on s’épanouit dans le bas de laine et le placement à long terme alors sa énième reconversion professionnelle, ça nous angoisse. Et ça va mieux en le disant. Et puis, d’aveu en aveu, quelque chose de plus profond peut émerger. « L’argent est encore un tabou. Les conflits sur le sujet cachent des enjeux profonds : la lutte pour le pouvoir, la reconnaissance. Ils peuvent accentuer un sentiment d’insécurité, un manque d’admiration pour l’autre, une absence de projets communs », commente la thérapeute. Une saine discussion peut aider à faire la part entre ce qui est réel et ce qui relève de nos propres projections. Il est vraiment cet idéaliste rêveur ou c’est ainsi qu’on le voit ? Et si nos reproches s’ancraient sur nos peurs d’enfant ? La peur de manquer, d’avoir froid et faim. En parler ensemble, cela permet de comprendre ce qui se joue, quitte à décevoir (un peu) et à surprendre : c’est essentiel, si on veut que notre couple tienne jusqu’aux noces d’étain (dix ans). Trop de couples s’engagent sur des malentendus.
L’occasion de travailler sur ses points faibles
On ne peut pas être en perpétuelle représentation dans le couple, on a déjà assez à faire avec la parade sociale, au bureau. Il y a cependant un minimum. Ceux qui se négligent et entretiennent une relation sans séduction risquent de voir leur vie sexuelle endormie d’un sommeil profond. Le couple est pourtant le terrain de jeu idéal (parce qu’on l’a sous la main) pour travailler ses points faibles : goût du risque, charisme et fibre challengeuse. « L’absence de conflit, comme le conflit permanent, n’est pas un mode de vie, reprend Caroline Kruse. Dans le premier cas, il s’agit d’un accord inconscient entre partenaires pour que la structure conjugale vienne colmater un passé qui a pu être violent. Comme un pansement psychique. » Pourquoi pas ? Mais un couple doudou n’est pas un couple où l’on évolue, où l’on s’épate, où l’on se dit « J’ai été capable de sauter à l’élastique ». Or, on a tous besoin d’être cornaqué par quelqu’un qui veut nous emmener plus loin. Et cette évolution ne peut pas se faire sans douleur, sans tensions, sans crise personnelle, sans noms d’oiseaux parfois jetés à la face de l’autre : « Pardon Paul, pour toutes les fois où je t’ai traité de poule mouillée ». Au bout du compte, il y a le succès, la lumière. Il ne serait pas fier, votre homme, si par votre cadrage, votre ténacité, vous l’ameniez à dépasser ses limites ? Vous ne seriez pas heureuse si, de son côté, il vous encourageait à crever le plafond de verre au lieu de vous rappeler à vos obligations familiales :« Bibiche, si tu finis à 21 heures, qu’est-ce que je vais faire en t’attendant ? »
Peut-on vraiment se réconcilier sur l’oreiller ?
Oui ! À condition que cela ne devienne pas un mode de fonctionnement. Le désir, c’est de l’énergie, de l’agressivité (au sens psychanalytique du terme). Une bonne sexualité est un savant équilibre entre tendresse et agressivité. La fée Électricité est la bienvenue dans le couple. On se dirait des vérités entre la poire et le fromage, on se bousculerait un peu. Bref, on s’échaufferait pour aller au lit, remontés à bloc et, au fond, mus par la même envie : se détendre et se réconcilier. « Ça marche quand un couple va bien, quand il sait gérer ses divergences. S’il est en permanence dans le conflit, chacun campe sur ses positions, la réconciliation sur l’oreiller, ça marche un temps pour l’homme (exutoire pulsionnel), mais moins pour la femme », explique la thérapeute. Pour faire durer la sexualité dans le couple, il faut de l’inventivité, du manque et du doute. Ce n’est pas une affaire de technique et de Kama Sutra, mais de mental et de capacité à se rechoisir l’un l’autre. Une petite dispute peut nous rappeler que rien n’est acquis. Sans oublier l’essentiel : on n’est pas obligés de rester ensemble, si on le fait, c’est par choix, signe que notre couple est plus solide, plus intense qu’il n’en a l’air.
*Caroline Kruse est conseillère conjugale et auteure de Comment continuer à se parler, à s’aimer, à se désirer (éd. Marabout). carolinekruse.com
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