Le « ghosting », barbarisme issu de l’anglais « ghost », fantôme en français, désigne la rupture brutale et sans explication. Monde hyper connecté oblige, ce phénomène passe par le smartphone : d’un coup, plus de SMS, plus d’appel, plus de mail, et au lieu des deux encoches bleues sur WhatsApp qui signifient « je t’ai lue », on a deux barres grises (message reçu mais non consulté). C’est à se taper la tête contre les murs. Marie Bergström(1), chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (Ined), nous explique pourquoi cette forme de rupture radicale se développe. Et Sylvie Tenenbaum(2), psychothérapeute, nous aide à en comprendre les ressorts inconscients et nous indique la meilleure manière de s’en sortir.
Le ghosting, sale manie née avec Internet
Rien de plus dur que le fait d’être congédiée sans un mot, sans seconde chance. Avec le « ghosting », il n’y a pas cette dégradation de la relation qui rend la rupture plus douce, ni d’explication qui donnerait du sens à l’absence et l’occasion à la personne quittée de répondre. Comme naguère, lorsque l’être aimé partait acheter des cigarettes sans jamais revenir. L’autre restait avec ses questions. Le « ghosting » est né sur Internet, les réseaux sociaux et les sites de rencontre. Selon Marie Bergström, « ces derniers favorisent une accélération de la rencontre, une consommation plus rapide que dans la vie réelle. On s’engage et on se désengage facilement parce que cela se passe en dehors du cadre social, de l’espace de vie ordinaire. On n’a pas de réseau en commun, alors on ne risque pas sa réputation et on n’a pas à gérer les effets secondaires de la rupture tels que le risque de se croiser dans le quartier ». Consommer, jeter… c’est vite une habitude chez les accros au clic. Cela n’empêche pas les sentiments ; une fois la mise en relation faite, s’il y a « match », c’est-à-dire si on se plaît, on retrouve les étapes de la vraie vie, à savoir la phase de séduction, la montée du désir et pourquoi pas, le « crush » ou sentiment amoureux. Sauf que tout va plus vite, plus fort sur la e-planète. Y compris la fin de l’histoire.
Pourquoi ça fait si mal ?
Le ghosting fait mal parce qu’on ne s’y attend pas. Et peut vous faucher en plein élan amoureux. L’autre ne prend pas la peine de dire les choses en face ni même lâchement, par texto. Un « je suis venu te dire que je m’en vais » blesse toujours moins que le silence radio qui renvoie immanquablement à l’abandon. « Dans une rupture, le “pourquoi” est important, observe Sylvie Tenenbaum. Or là, rien. C’est une blessure narcissique et affective, sur fond de culpabilité car on se dit inévitablement : qu’ai-je fait pour mériter ça ? » Difficile de faire le deuil de sa relation, dans ces conditions. Difficile de garder confiance en soi. Comment faire face au vide ? Devant nos interrogations sans réponse, grande est la tentation de se nier pour comprendre l’autre, ses motivations. Il nous jette aux oubliettes parce qu’il est sous pression au boulot ? Il est malade, incapable d’atteindre le téléphone ? On en oublie son propre ressenti, son seuil de tolérance et les explications les plus évidentes : « La plupart du temps, l’autre disparaît comme ça par peur de l’engagement ou parce qu’il en a rencontré une autre ». C’est deux fois une claque pour nous. Est-on obligée d’accepter, d’encaisser tout cela ?
Comment anticiper le phénomène ?
Par définition, on ne le voit pas arriver mais on peut deviner si notre amoureux est un candidat au « ghosting » : il est mal organisé d’une manière générale. Il annule souvent nos rendez-vous et parfois en dernière minute. Il fait des projets trop beaux pour être vrais : il dit « toi et moi à Cuba, ce serait merveilleux ». Quand ? Comment ? Mystère ! Il n’élabore jamais l’ombre d’une stratégie, à l’autre de tout imaginer. Il est omniprésent, enthousiaste au début de la relation puis d’un coup, se fait désirer : moins de textos, moins d’attentions. Alors on se met à attendre qu’il daigne donner de ses nouvelles, le cœur déjà vrillé. L’air de rien, il est en train de prendre la tangente. « Le “ghosteur” fait preuve d’une belle immaturité affective. Il ne veut en réalité ni continuer ni arrêter, mais compte sur le pourrissement de la situation, tout en sachant que plus le temps passe, moins il pourra revenir en arrière », reprend Sylvie Tenenbaum. Ce n’est ni un au revoir ni un adieu. Juste un tour de passe-passe.
Que faire pour s’en sortir la tête haute ?
Communiquer pour deux, lui écrire ce que l’on a sur le cœur, même s’il ne nous lit pas (plus tard peut-être en aura-t-il la curiosité). Cela nous oblige en tout cas à structurer notre pensée, à dompter nos émotions. Au fil des messages, on passera de la stupeur à la tristesse, à la déception puis à l’acceptation, étapes nécessaires au deuil de la relation. On n’a plus rien à perdre, alors autant lui exprimer ce que l’on ressent. « Écrire, pour faire ce dont l’autre est incapable : parler, nommer », commente Sylvie Tenenbaum. Ce n’est pas perdre sa dignité que d’envoyer des textos qui resteront sans réponse. « Il s’agit plutôt d’acter la rupture, d’avoir ce courage-là, à la place de celui qui se tait et qui fuit », reprend-elle. Sans le harceler non plus, car il ne s’agit pas de maintenir le lien coûte que coûte. Après coup, d’ailleurs, on ferait mieux d’effacer ses coordonnées. De toute façon, son « ghosting » équivaut à une fin de non-recevoir. Autant tourner la page et se donner une chance de rencontrer quelqu’un de plus mûr, de plus stable et de plus gentil !
(1) Spécialiste des questions de sexualité, de couple et de célibat, Les Nouvelles Lois de l’amour (La Découverte).
(2) Pensez enfin à vous ! Devenez la personne la plus importante de votre vie, (Albin Michel)
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