Virginie Efira ou l’art de la métamorphose permanente ! Une décennie après avoir révélé son charme et son humour en présentant la Nouvelle Star à la télévision, l’actrice belge, 41 ans, fait désormais partie — qui l’eût cru ? — des personnalités les plus influentes du cinéma français. Si, à ses débuts sur le grand écran, elle était cantonnée dans des emplois d’héroïne romantique, sa carrière, depuis quelques années, ne cesse de s’enrichir. Épatante dans des comédies ambitieuses (Victoria, de Justine Triet, 20 ans d’écart, de David Moreau), Virginie Efira aime aussi interpréter des partitions dramatiques où elle dévoile d’autres facettes de son talent. Un an et demi après Pris de court, d’Emmanuelle Cuau, où elle subjuguait le public dans la peau d’une mère confrontée à la précarité sociale, la comédienne incarne un grand rôle en novembre dans Un amour impossible, de Catherine Corsini. Dans cette adaptation subtile du roman homonyme de Christine Angot, Virginie Efira est Rachel, une provinciale des années 1950, issue d’un milieu modeste, qui rencontre un homme séduisant venu de la capitale et entame avec lui une passion destructrice. En attendant pire, quand le « couple » donne naissance à une petite fille… L’actrice n’en oublie pas pour autant la fantaisie, comme elle le prouve en octobre dans Le Grand Bain, de Gilles Lellouche, une comédie délirante dans laquelle elle incarne la coach d’une équipe de natation synchronisée… masculine. Ses choix, ses désirs et ses refus : Virginie Efira s’explique en toute liberté.
Une comédie fantaisiste, un drame poignant : vous êtes omniprésente cet automne sur les écrans. Cet éclectisme vous enchante ?
Oui, oui, oui et encore oui ! Il y a quelques années, on me proposait en priorité des comédies romantiques. J’en prenais acte, en essayant de trouver le plus de diversité possible dans ce registre. Désormais, on me sollicite pour des projets beaucoup plus divers, et j’interprète fréquemment des personnages plus complexes. C’est chouette.
À vos débuts au cinéma, vous imaginiez une telle carrière ?
Absolument pas. Et encore moins au préalable, quand je présentais des hit-parades à la télévision (rires). M’imaginer dirigée par Catherine Corsini dans une adaptation de Christine Angot ne paraissait pas relever d’une logique implacable, convenons-en… En revanche, je savais de façon certaine que je ne ferais pas la même chose toute ma vie. Je ne fantasmais pas sur les triomphes commerciaux, sur la notoriété ou sur la valorisation de mon image, mais je pressentais que j’arpenterais d’autres territoires, et que ceux-ci auraient un rapport avec le jeu. Je n’aime pas être enfermée dans un cadre. C’est trop triste. J’aime être en mouvement.
À l’adolescence, vous rêviez déjà de devenir comédienne. Après bien des détours, vous avez finalement réussi.
Il m’a fallu du temps pour me débarrasser de mes complexes. J’ai longtemps éprouvé un sentiment d’infériorité et d’illégitimité. Je me faisais une si haute idée du cinéma que j’avais l’impression qu’il m’était interdit. Je n’étais pas tranquille avec moi-même, pas du tout… D’où ma lenteur pour parvenir à assumer et à réaliser mes désirs. Mais je ne regrette rien dans mon parcours. Mes expériences m’ont enrichie. Désormais, je profite, en sachant que tout peut s’arrêter vite.
Vous le redoutez ?
Pas vraiment. Je crois que, si cela se produit, je saurai me réinventer. Et puis ne pas être complètement sereine vis-à-vis de l’avenir me permet de vivre beaucoup plus intensément le moment présent. Mon sentiment d’urgence ne s’étiole pas.
Quelle a été votre réaction quand Catherine Corsini vous a proposé le rôle principal d’Un amour impossible ?
Les choses ne se sont pas passées ainsi. J’avais lu le livre à sa parution et il m’avait beaucoup impressionnée. J’avais été frappée par la façon dont Christine Angot revisitait sa propre vie à travers l’histoire de ses parents en cherchant toujours à mettre des mots sur les événements et les sentiments, même les plus douloureux, et en évitant à chaque instant la complaisance.
Le personnage de la mère, Rachel, est au cœur du récit. Elle ne sait pas voir l’inceste dont est victime sa fille…
J’aime sa pudeur et sa dignité. Cette femme tente de faire « au mieux » malgré les dénis, les silences, les épreuves. Elle se tient debout, toujours. Un amour impossible retrace sa vie de femme sur plusieurs décennies et, si celle-ci est balisée par des drames, elle n’est jamais uniformément sombre. C’est un parcours bouleversant.
Du coup, c’est vous qui avez désiré que le livre soit adapté pour cinéma ?
Non. J’ai appris que Catherine Corsini préparait l’adaptation. D’ordinaire, je ne sollicite jamais les cinéastes car je ne pense pas que l’on puisse forcer le désir des autres, mais là, j’ai fait une exception. Pour la première fois, j’ai contacté un réalisateur pour lui faire part de mon vif intérêt. Je redoutais que Catherine ait une mauvaise image de moi, genre « Virginie Efira, la fille de la télé », comme quoi j’ai toujours quelques complexes… Mais elle a accepté de me rencontrer. Elle avait vu Victoria, de Justine Triet, et elle était intéressée.
Comme quoi vous inspirez de plus en plus les auteurs !
Quand j’ai sollicité Catherine Corsini, j’ai eu une discussion avec Justine Triet, et je lui ai fait part de mes doutes. Je craignais de paraître naturellement trop dynamique et trop « youp-la-boum la vie » pour un tel rôle… Justine m’a rassurée en me répondant que, désormais, on pouvait très bien m’imaginer en femme qui allait mal, voire très mal (rires). Bien sûr, c’était une boutade. Mais elle visait juste : aujourd’hui, je sais que je peux interpréter des rôles beaucoup plus ambigus que ceux de mes débuts.
On vous retrouvera prochainement dans une autre adaptation littéraire : Continuer, de Joachim Lafosse, d’après le livre de Laurent Mauvignier. Vous y interprétez aussi une mère qui entretient des relations complexes avec son enfant. Ces rôles interpellent la maman que vous êtes ?
Chaque cas est différent. Et celui d’Un amour impossible est très particulier vu la violence de ce qui est raconté et l’expérience de l’inceste. Je n’ai pas attendu d’être maman dans la vie pour incarner des mères sur le grand écran, mais une chose est sûre : le fait d’être maman me permet de convoquer des sentiments et des peurs intimes pour enrichir mes personnages. C’est un travail souterrain qui n’est pas négligeable.
Vous jouez rarement dans les grosses productions consensuelles. Les partitions prévisibles, très peu pour vous ?
J’évite les films qui ne reposent que sur des recettes. Je n’aime pas le formatage. L’idée de s’adresser au plus grand nombre est la plus noble qui soit, mais elle ne doit pas interdire l’exigence et l’originalité. Peu de cinéastes parviennent à cet équilibre. Parfois, les gens me soupçonnent de ne plus aimer jouer dans des comédies. Ils se trompent : j’adore ça ! Simplement, je refuse les projets prévisibles pour privilégier les partitions plus singulières.
C’est le cas pour Le Grand Bain, de Gilles Lellouche, dans lequel vous incarnez l’entraîneuse d’une équipe de natation synchronisée masculine…
Voilà une fiction qui donne ses lettres de noblesse à la comédie populaire ! Il y a de la grâce dans ce film et un vrai sujet derrière la fantaisie : comment redonner du sens à sa vie ? Lellouche a probablement dû se sentir enfermé à un moment dans sa carrière d’acteur et il a osé prendre la caméra pour arpenter d’autres territoires. Sur Le Grand Bain, j’ai adoré côtoyer des acteurs venus de différents horizons – Mathieu Amalric, Philippe Katerine, Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde –, tous dans la peau de personnages plus ou moins dépressifs. Quand les comédies font preuve d’imagination, c’est un régal d’y participer, même dans un second rôle.
Vous tournez actuellement dans le nouveau film de Paul Verhoeven : Benedetta. L’histoire d’une nonne italienne du XVIIe siècle sur le point d’être béatifiée, mais condamnée pour homosexualité. Les prises de risques ne vous font pas peur.
Tourner avec Verhoeven, cela ne se refuse pas ! Le film évoque un épisode historique qui, à bien des égards, interroge aussi la société actuelle. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que l’on est très loin de la comédie romantique… Tout comme pour Elle, son précédent film, Verhoeven tourne Benedetta en langue française, avec un financement majoritairement venu de l’Hexagone. Le cinéma français est le seul au monde qui permette une telle audace. Il ne faut surtout pas l’oublier, et tout faire pour qu’il continue à en être ainsi.
Le mois de septembre est synonyme de rentrée. Quand vous étiez enfant, puis adolescente, vous redoutiez cette période ?
Au contraire ! J’adorais la perspective d’entamer un nouveau cycle. En septembre, dans mes cahiers d’écolière, mon écriture était hyper soignée, comme si, forte de mes nobles intentions, j’avais décidé de prendre les choses par le bon bout. Évidemment, ça ne durait que trois semaines, au mieux (rires). N’empêche, ce sentiment de réinvention est exaltant et j’aime toujours l’éprouver. J’adore quand il y a un parfum de nouveauté dans l’air.
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