Syndrome du nid vide : comment y faire face ?

Cela lui est tombé dessus un peu à rebours. Quelque temps après que le dernier de ses trois fils a quitté la maison, Marie-Josée d’Astrée a commencé à sentir ce « silence envahissant » qui désormais régnait dans sa maison. « Je pouvais être gagnée par de véritables bouffées de tristesse, raconte celle qui en a tiré un livre, Le Nid vide. Je me suis dit : « Mince, tous mes garçons sont partis. » Il y a aussi ce moment au supermarché où il s’agit de racheter des casseroles plus petites puisque désormais, on prépare à manger pour un et pas pour quatre. D’ailleurs, l’alimentation elle-même s’en trouve modifiée. « La nourriture est quand même un élément fondamental de la vie de famille. Après leur départ, je ne cuisinais plus de la même façon. » Adieu le linge sale laissé en cadeau dans le panier à linge, la litanie des « C’est pas un hôtel ici ! », dit sur un ton exaspéré mais qu’on aimerait finalement pouvoir prononcer à nouveau. « Imaginez que vous viviez depuis quelques années en colocation avec trois personnes, argumente l’auteure. Le jour, où, d’un commun accord, cette colocation cesse, on s’engage forcément dans une vie différente. Cela ne peut pas être indolore. Or, avec des enfants, il s’agit d’une colocation qui dure de nombreuses années ! » Bienvenue dans le « syndrome du nid vide ». Sous ce nom, se cache un état « qui ressemble à celui du baby-blues, décrypte la psychologue Béatrice Copper-Royer, auteure de Le Jour où les enfants s’en vont. Après une période de plein, d’excitation, on se retrouve face à un vide. De cette rupture dans la vie, de ce changement important émerge un sentiment d’inutilité, de morosité. Que faire de son temps, désormais ? »

Coup de blues chez Ikea

Pourtant, on pourrait imaginer qu’avec la plus grande mobilité des jeunes dans leurs études, les parents sont un peu mieux préparés à l’envol de leurs oisillons. « Effectivement, l’enfant qui va et vient au gré de ses voyages, de son cursus scolaire, cela annonce le départ à venir », confirme Béatrice Copper-Royer. Qui souligne la violence d’autant plus grande vécue par les parents, notamment en province, dont les enfants partent très tôt – vers 16 ans – en apprentissage loin de chez eux. Et qui, lancés dans une voie qui les mène assez rapidement au monde du travail, ne reviendront pas au domicile familial. La benjamine de Claire, 57 ans, a beau avoir passé un an en Erasmus en Italie, « je savais qu’elle reviendrait à la maison l’année suivante jusqu’à l’obtention de son diplôme, plaide-t-elle. En revanche, le jour où on a fait ses cartons pour son premier studio, je n’en menais pas large… » Car au-delà de la virée chez Ikea pour acheter le premier clic-clac, le départ du foyer se pare d’autres significations : « Pour les parents, c’est un premier pas dans la vieillesse, note Béatrice Copper-Royer. On éprouve le temps passé, mais aussi le temps qui reste. C’est d’autant plus délicat quand le départ de l’enfant coïncide avec d’autres bouleversements : la retraite ou encore la ménopause pour la mère. »
Marie-Josée d’Astrée a d’ailleurs été éberluée par le silence qui entoure ce moment douloureux. « Quand j’en parlais à mes copines, on me faisait taire, se souvient-elle. J’aurais divorcé, on m’aurait plainte. Mais en éprouvant cette tristesse-là, je passais pour la mère abusive qui ne sait pas couper le cordon. Or il me semble que, comme dans tout deuil, on a le droit de prendre son temps pour vivre cette morosité. D’ailleurs, quand j’ai présenté mon livre, j’ai eu plusieurs lectrices qui me sont tombées dans les bras. Elles se reconnaissaient dans ce que j’écrivais. »

Un départ qui se prépare

Ce coup de mou post-départ n’est pour autant pas une fatalité. Pour Béatrice Copper-Royer, anticiper la prise d’envol de son enfant permet sinon de l’éviter, tout au moins de l’atténuer. « Le départ des enfants se prépare en continuant à avoir une vie en dehors d’eux. Il faut poursuivre sa vie amoureuse, professionnelle, amicale : plus on le fait, mieux on se porte. » Bref, ne pas mettre tous ses œufs dans le panier de la parentalité. C’est la méthode adoptée par Élisabeth, 60 ans : « J’adore mes garçons, mais ils ne sont pas l’alpha et l’oméga de mon existence, insiste-t-elle. Je ne me suis jamais coupée du monde pour les élever. J’ai toujours pris soin de garder du temps pour moi : aller au cinéma, faire du sport… Certes, ils ont peut-être mangé des coquillettes au jambon plus souvent qu’à leur tour, mais ils ont visiblement survécu ! » Néanmoins, il serait abusif (et un peu facile) de considérer que « le nid vide » concerne exclusivement les « desperate housewives » ou les mères surinvesties qui ont pu un peu s’oublier dans la parentalité. « Le sentiment de vide peut être d’autant plus fort qu’une personne a connu, auparavant, des ruptures prématurées. L’angoisse de séparation peut se trouver réactivée au moment du départ des enfants », analyse Béatrice Copper-Royer.

Retour à la vie à deux

Les enfants partis, nous nous retrouvons aussi en tête-à-tête avec notre conjoint. Chez certains, le joyeux brouhaha familial a pu camoufler des silences conjugaux… que le retour à la vie en duo met à jour. Isabelle, 54 ans, s’en est rendu compte quand Simon, son benjamin, est parti faire sa vie : « On a mis du temps, avec mon mari, à rapprivoiser ce quotidien à deux. On a réalisé que, en dehors des enfants, on avait un peu laissé dériver les points communs qui nous avaient cimentés au départ. Cela a nécessité presque un an pour qu’on trouve notre rythme… » Béatrice Copper-Royer le confirme : « Les enfants font parfois écran pour des couples qui n’ont plus grand-chose à se dire. À ce titre, on constate d’ailleurs une hausse du nombre de séparations chez les 55-60 ans, une fois la charge éducative achevée. C’est pourquoi, pour ce temps d’après, il est important de penser à des projets à deux. Cela peut être un déménagement ou un voyage… »

Liberté et redécouverte

Non, le « temps d’après » – même s’il suscite au départ un peu de tristesse – ne se résume pas à se rendre régulièrement dans la chambre de l’enfant envolé, fossilisée façon temple célébrant notre rejeton. Heureusement ! Pour Béatrice Copper-Royer, il importe également de pointer ce qu’on gagne à être délesté de la charge parentale. « Déjà, on gagne du temps ! s’exclame-t-elle. On n’a plus à se presser pour rentrer du travail. Il faut quand même souligner que nous récupérons de la liberté à un moment de notre existence où nous sommes encore en bonne forme. » Isabelle n’a d’ailleurs pas boudé son plaisir : « Je pouvais effectivement traîner en sortant du bureau : aller voir une expo en nocturne ou un film. Se faire un resto à l’improviste sans avoir à m’inquiéter de savoir s’il y a des trucs dans le frigo pour le dîner des enfants. C’est comme si on retrouvait du temps de cerveau disponible… pour soi ! » Formatrice et coach, Marie-Josée d’Astrée a, quant à elle, pu augmenter le nombre de ses voyages à l’étranger. Pour Élisabeth, ce temps est aussi celui de la redécouverte de ses enfants : « Maintenant qu’ils ne sont plus à la maison, le dialogue – moins régulier – s’établit sur d’autres bases. J’ai le sentiment que, dans la discussion, nous sommes plus d’égal à égal. Notre rôle est moins “normatif”, la relation est apaisée. Les occasions de se voir étant plus rares, elles n’en sont que plus précieuses, plus denses aussi. » C’est peut-être là l’essentiel pour les parents happés par la tristesse : se souvenir qu’au rayon des dictons populaires, le bon sens n’est pas toujours de mise. Et donc que loin des yeux ne signifie pas nécessairement loin du cœur.

A lire/à voir :

• Le Jour où les enfants s’en vont, de Béatrice Copper-Royer (éd. Albin Michel) : un essai intelligent et pragmatique sur ce sujet épineux.
• Nid vide, de Marie-Josée d’Astrée (éd. Favre) : ce très beau texte met également l’accent sur la condition de parent solo. Comment gérer le départ des enfants quand on n’est pas en couple à ce moment-là ?
• Tanguy, d’Étienne Chatiliez : un film pour se rappeler qu’un enfant qui s’éternise à la maison, ce n’est vraiment pas la joie non plus !

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