L’art de surprendre et de toujours savoir se renouveler… Depuis ses débuts dans les années 90 avec la troupe hilarante des Robins des bois, Marina Foïs n’a jamais cessé d’arborer des panoplies différentes, pour notre plus grand plaisir. Aussi à l’aise dans les comédies acides, comme ce fut le cas récemment avec les deux volets de la saga Papa ou Maman, que dans les drames — Polisse, de Maïwenn, L’atelier, de Laurent Cantet —, l’actrice ajoute aujourd’hui une nouvelle corde à son arc en interprétant le rôle principal d’une fiction judiciaire passionnante : Une intime conviction, d’Antoine Raimbault. Dans ce film inspiré par un fait divers célèbre de ces dernières années — l’affaire Jacques Viguier, du nom de cet homme suspecté du meurtre de son épouse —, l’actrice incarne Nora, une femme ordinaire convaincue de l’innocence de l’accusé, et qui, avec un ténor du barreau (Eric Dupond-Moretti, campé par Olivier Gourmet), tente d’apporter des preuves en sa faveur lors du procès en appel. L’occasion pour Marina Foïs, sidérante du premier au dernier plan, de confirmer qu’elle adore interpréter des héroïnes volontaires et obstinées. Son intérêt pour la justice, ses choix, ses refus : la comédienne s’explique.
Qu’est-ce qui vous a attirée dans le projet d’Une intime conviction ?
La justice est un sujet qui me passionne depuis toujours. Quand j’avais 20 ans, par curiosité, j’allais souvent assister à des procès ouverts au public. Ensuite, la vie a fait qu’une personne très proche de moi est passée aux assises en tant que victime. Cela m’a malheureusement appris à être méfiante vis-à-vis de cette institution si importante.
Pourquoi cette méfiance ?
Cet événement personnel m’a convaincue que certaines personnes sont deux fois victimes : victimes de ce qui leur est arrivé, puis victimes d’un procès qui ne mérite pas ce nom. Aux assises, il est question, en théorie, de restaurer la dignité des gens et de remettre la morale au bon endroit. Hélas, ce n’est pas toujours le cas et, parfois, la justice dysfonctionne. Le rôle de l’opinion publique et des médias y est considérable et la réalité pèse parfois le poids d’une plume face à la rumeur et à l’emballement médiatique. Pour le dire crûment : ça fout les jetons.
Comment Antoine Raimbault, le cinéaste d’Une intime conviction, vous a-t-il présenté le film ?
Il est encore plus obsessionnel que moi sur la justice. Cet intérêt commun pour le sujet nous réunissait et je n’ai pas hésité une seconde à m’engager pour incarner Nora. Comme tout le monde, j’avais suivi l’affaire Viguier dans les journaux. Ayant participé de près à un procès et ayant été témoin de certaines dérives, je me garde d’avoir un avis sur des dossiers que je ne connais pas. C’est une question de décence par rapport aux personnes concernées. Fort heureusement, l’affaire Viguier en tant que telle n’est pas le sujet du film.
Une intime conviction évoque moins le fait divers que le fonctionnement de la justice.
Et c’est bien cela qui me passionnait. Le film suit avec précision et réalisme le déroulement d’un procès. Antoine Raimbault refuse les effets spectaculaires gratuits. Je ne pense pas que je me serais engagée si le fait divers avait constitué le cœur de ce film. Comme tout le monde, je suis pourtant un peu voyeuse et les faits divers m’intéressent. Ils renseignent sur l’état de la société et montrent combien la frontière est parfois ténue entre ceux qui dérapent et ceux qui restent dans les clous. Au cinéma, c’est autre chose : avec les faits divers, il y a un énorme risque de sombrer dans le sensationnisme. Je n’aime pas ces dérives.
Nora est une héroïne fictionnelle, née de l’imagination d’Antoine Raimbault, contrairement à d’autres personnages du film comme Jacques Viguier ou Eric Dupond-Moretti.
Le film repose sur un équilibre judicieux entre fiction et réalité. Il montre le rôle déterminant des a priori dans le déroulement des procès et les accidents imprévisibles qui les émaillent. Aux assises, on retrouve souvent des déséquilibres qui reflètent la société, en premier lieu l’injustice par rapport aux classes sociales modestes. Tout est beaucoup plus compliqué pour ceux qui ne maîtrisent pas les codes et l’institution. Les prétoires renvoient en fait une image de la lutte des classes. Face à ces dysfonctionnements, Nora se révolte et son combat devient une obsession. Je n’ai éprouvé aucune difficulté à m’identifier à cette femme qui se refuse à lâcher quoi que ce soit dans sa lutte.
Juge ou avocat, ce sont des professions qui vous auraient tentée ?
Il m’est difficile de répondre à cette question car j’ai toujours voulu être actrice. À mes débuts, je me disais néanmoins que si mon métier venait à me décevoir, je me débrouillerais pour devenir juge. J’ai une capacité certaine à me débarrasser de mes présupposés, une des conditions nécessaires à cette fonction, et je pense modestement que j’aurais été en mesure de bien mener un procès. Bien sûr, ce désir était enfantin et irréaliste. Les études de droit sont incroyablement longues et, d’autre part, il n’est pas évident d’échanger son statut d’actrice qui passe à la télé pour celui de juge affichant la plus grande neutralité…
La notion de justice semble vous importer au plus haut point.
Oui et cela dépasse le cadre des affaires judiciaires. Si, dans l’existence de tous les jours, on interrogeait plus souvent notre morale, on vivrait dans un monde plus doux et aimable. Ce ne serait pas de trop.
Une intime conviction s’inscrit dans un genre, le film judiciaire, que vous n’aviez jamais abordé.
Et j’adore ce genre ! Douze hommes en colère, de Sidney Lumet, La vérité, de Henri-Georges Clouzot ou Omar m’a tuer, de Roschdy Zem sont des films que j’apprécie particulièrement. J’aime aussi les documentaires que Jean-Xavier de Lestrade et Raymond Depardon ont signé sur le sujet. Dans les fictions, il est difficile de rendre avec justesse ce qui se joue dans les tribunaux. Souvent, les personnages sont réduits à des clichés. Et on sent parfois un mépris de classe, ce qui n’est guère étonnant puisque le cinéma français est souvent conçu par des intellos parisiens… Je ne supporte pas quand on envisage les protagonistes comme des animaux de foire.
Dans Une intime conviction, vous dialoguez avec Olivier Gourmet, impressionnant dans la peau de Eric Dupond-Moretti. Jouez avec un bon partenaire, ça rend meilleur ?
C’est incontestable. Même si toutes les expériences ne se valent pas, j’ai eu la chance, dans ma carrière, de ne jamais croiser de mauvais partenaire. Je n’ai jamais eu l’impression que je jouais mal à cause d’un autre acteur. Quand je suis mauvaise, c’est de ma faute (rires).
Vous aimez flirter avec tous les genres : la comédie, le drame social, le film noir et, aujourd’hui le film judiciaire. Ce pluralisme vous importe plus que tout ?
Je me méfie des redites. J’ai des goûts très éclectiques et ma carrière ressemble à la femme que je suis. J’aime l’alternance et m’éloigner des zones de confort. En fait, je déteste ronronner. Je me félicite que l’on m’ait toujours proposé des projets divers. Je bénéficie d’une chance inouïe : ma curiosité de spectatrice et de cinéphile peut aussi s’exprimer dans mes rôles.
D’où vient cette cinéphilie ?
Probablement de mes parents. Ils avaient choisi de ne pas avoir de télévision à la maison et ils m’emmenaient très souvent au cinéma. J’ai vu des films appartenant à tous les genres dès mon enfance. Avec mes parents, je découvrais aussi bien les comédies des Monty Python que les drames de Satyajit Ray. Le spectre était large.
Quels métiers exerçaient vos parents ?
Mon père était chercheur en physique thermonucléaire et ma mère psy. Ils aimaient profondément la culture : ils allaient tout le temps au théâtre, ils lisaient énormément. J’ai bénéficié de leur transmission.
Votre désir de devenir actrice vient de cet environnement privilégié ?
Il l’a sans doute favorisé. On m’a toujours raconté que, dès mes 5 ans, je clamais mon désir de devenir actrice. Mais je ne sais pas exactement d’où vient ce désir. Peut-être que, dans mon enfance, je m’emmerdais déjà beaucoup et que j’avais besoin de me divertir (rires).
Pourquoi « déjà » ? Vous êtes sujette à l’ennui aujourd’hui ?
J’ai toujours eu un problème avec l’ennui, c’est même une sorte de pathologie. Récemment, j’ai lu une interview de Vanessa Paradis où elle racontait qu’elle ne s’ennuyait jamais. J’en conclus qu’elle a une vie intérieure beaucoup plus riche que la mienne. Moi, je suis très fragile avec l’ennui. Et j’ai toujours besoin d’évoluer dans une certaine forme d’agitation pour conjurer cet état. Quand je m’emmerde… j’enrage !
Néanmoins, vous n’êtes pas prête à jouer n’importe quoi pour ne pas vous ennuyer. Quand on observe votre filmographie, on s’aperçoit que vous choisissez scrupuleusement vos rôles.
C’est exact. Et je dis d’ailleurs souvent « non » à des projets que l’on me propose. Néanmoins, je me débrouille pour ne pas me retrouver en situation d’ennui. Sur une année, je suis occupée dix mois professionnellement et je m’en réjouis. Dans ma vie, je m’organise pour éviter les temps morts. Rester une journée affalée au fond d’un canapé, ce n’est pas mon truc. Il y a des résidus d’adolescence dans mon rapport au monde : le calme plat, ce n’est pas pour moi. J’ai profondément besoin d’intensité.
Une intime conviction, d’Antoine Raimbault, avec Marina Foïs, Olivier Gourmet… Sortie le 6 février 2019.
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