« J’ai repris ma place mais pas celle d’avant ! » Voilà comment Cécile résume son retour au travail après 13 mois d’arrêt suite à un cancer du sein. Au début, cette trentenaire toulousaine a senti qu’il fallait à nouveau qu’elle fasse ses preuves auprès de ses collègues. Mais surtout, cette jeune responsable des ressources humaines est revenue bosser avec un nouveau rapport au travail. « Plus question d’avoir la “vie de tarée” d’avant, à travailler le soir après le coucher des enfants et à prendre tout à cœur. Je reste consciencieuse mais je relativise vraiment beaucoup. J’accepte que tout ne soit pas fait, pas parfait. En partant, j’éteins mon téléphone portable. Je mets de vraies barrières entre ma vie pro et perso », illustre-t-elle. Du coup, ses journées sont « plus simples » et avec « moins de pression ». Et quand elle a un coup de pompe, des trous de mémoire (notamment dus à l’hormonothérapie), elle en informe ouvertement sa cheffe et négocie du télétravail pour se préserver (ainsi que ses enfants et son mari) au maximum.
S’accorder du temps avant de reprendre
« Le cancer ne disparaît pas le jour de la reprise du travail », prévient d’emblée Anne-Sophie Tuszynski, fondatrice de l’association Cancer@Work. Les séquelles en lien avec la maladie et les traitements de suite augmentent, par exemple, la fatigue physique et psychique quotidienne. Pour bien reprendre le travail, rien ne sert de revenir trop tôt. « Mieux vaut s’accorder un temps de convalescence suffisant plutôt que de reprendre rapidement et d’enchaîner alors les arrêts maladie car on se retrouve incapable de tenir le rythme. En désorganisant l’entreprise, on prête le flanc à un licenciement. En effet, les employeurs qui ne veulent pas d’un salarié malade, souvent absent, peuvent passer à travers les mailles du filet et le licencier. C’est malheureusement une réalité », insiste Anne Raucaz, responsable de projets au sein du département Action pour les personnes malades de La Ligue nationale contre le cancer. Pour anticiper au mieux le retour au travail, vous pouvez par exemple mobiliser une visite de pré-reprise (en cas d’arrêt de 3 mois et plus) avec le médecin du travail. « Cela permet d’identifier les meilleurs dispositifs de retour à l’emploi. Temps partiel thérapeutique, aménagement d’horaires, aménagement de poste… tout est envisageable », liste Anne Raucaz. Et plus vous vous y prendrez tôt, plus simple sera votre retour.
Anticiper le jour J
Réfléchissez également à votre « discours » pour le jour J. Qu’allez-vous dire, à qui ? Direz-vous la même chose à des collègues proches qu’à des gens plus éloignés ? Quel discours auprès de vos clients et de vos fournisseurs qui auront, de fait, remarqué votre absence. « Avoir des phrases toutes prêtes permet, le moment venu, de ne pas se laisser débordée par les émotions », ajoute-t-elle. En tout cas, rien ne vous oblige à motiver votre absence en parlant de votre maladie. Faites ce qui vous semble bon (et le mieux) pour vous. Nathalie (voir ci-dessous) a pris le parti d’en parler dès l’annonce de son cancer du sein car elle ne pouvait plus assumer ses missions d’accueil du public en station debout. « J’ai également informé mes collègues afin qu’ils puissent réagir promptement en cas de malaise ou s’ils me voyaient en petite forme. Mais globalement, je n’ai pas l’impression que mon cancer intéresse les gens. Ils ont une empathie de surface mais c’est tout », précise cette quinquagénaire au tempérament bien trempé. En revanche, elle apprécie particulièrement les échanges avec une collègue « également passée par là ». « Elle est venue à moi rapidement, on en parle simplement car on a traversé les mêmes problèmes d’hospitalisation et de suivi. Cela peut paraître bête mais on appartient au même club », confie-t-elle. Une forme de solidarité en somme.
Afficher sa différence
La reprise du travail après un cancer ne doit pas être uniquement évaluée sous l’angle des contraintes mais aussi à travers un prisme plus positif. « Après ce type de maladie, les personnes ont souvent gagné en humanité, en bienveillance, en pugnacité, en résilience… », observe Anne-Sophie Tuszynski, de Cancer@Work. Certaines font même de leur combat contre le cancer une nouvelle compétence clairement affichée sur leur profil LinkedIn. Un bon moyen de changer le regard sur la maladie auprès des recruteurs et de l’entourage professionnel proche. D’autres (ou les mêmes) changent de voie. En plus de son boulot, Cécile, la Toulousaine, suit une formation de sophrologue. « Désormais, je ne me ferme aucune porte. Vais-je mettre cette nouvelle compétence en interne ou travailler à mi-temps et exercer la sophrologie le reste du temps ? Je m’offre toutes les possibilités », insiste-t-elle. « Après la maladie, beaucoup de femmes lancent des projets à vocation sociale ou en lien avec le cancer. Par exemple, des maillots de bain, des bandeaux pour les cheveux des femmes malades… », illustre Anne-Sophie Tuszynski. Un moyen de (re)donner du sens à leur parcours professionnel.
Témoignages
Elle ne parle plus de sa maladie à ses employeurs
Joëlle, 53 ans, assistante maternelle dans les Alpes-Maritimes
C’est seulement quelques jours avant son opération pour un cancer du sein à un stade très avancé (en décembre 2010) que Joëlle cesse le boulot. Un déchirement pour cette assistante maternelle qui exerce depuis vingt ans. Mais pas le choix. « Je n’y étais pas favorable mais les médecins ont eu raison d’insister car mes défenses immunitaires étaient faibles et être au contact d’enfants potentiellement porteurs de microbes, revenait à prendre des risques », se souvient-elle. Durant son arrêt maladie, elle se dit « harcelée » par la Sécurité sociale qui n’a de cesse de vérifier qu’elle a bien un cancer. Une situation qu’elle a du mal à encaisser. Elle décide donc de reprendre le travail en septembre 2012 en gardant non plus trois, mais deux enfants. « J’avais décidé d’être transparente avec les familles. Donc quand elles me demandaient pourquoi les jeux n’étaient pas sortis dans le salon et les lits des enfants pas faits, j’évoquais ma maladie. Six familles sont parties en courant. Alors, j’ai décidé de ne plus le dire », raconte-t-elle encore un peu sonnée par cette discrimination. Elle garde de nouveau deux enfants. « Quand j’ai des douleurs, je serre les dents. Pour les examens, je les passe le soir ou je pose une journée de congé. Mais toujours silence radio sur ma maladie, et tout se passe bien ».
Retrouver son emploi a aussi participé à sa guérison
Nathalie, 52 ans, agent de la fonction publique dans le Val-de-Marne
Entre chaque arrêt maladie lié à son cancer du sein, Nathalie a repris le boulot de plus belle. « Un moyen pour moi de nier la maladie en pensant à autre chose et en gardant du lien social. J’ai eu tendance à dépasser mes limites. Je ne voulais surtout pas qu’on me prenne pour une demi-salariée », se souvient-elle. Aujourd’hui, elle regrette (un peu) de ne pas avoir changé son rapport au travail. « J’aurais dû accepter la maladie comme elle était et ne pas trop tirer sur la corde. Je l’ai payée en étant très fatiguée physiquement et psychiquement mais je continue de penser que cette posture de combattante a aussi participé à mon processus de guérison », conclut-elle.
Pour aller plus loin
• Cancer@Work, réseau d’entreprises engagées sur le sujet du cancer au travail. Canceratwork.com
• Ligue contre le cancer. Ligue-cancer.net
• Allo Alex, hotline pour obtenir des réponses sur la maladie au travail. Tél. : 0 800 400 310. Alloalex.com
• Octobre Rose, le cancer du sein parlons-en. Cancerdusein.org
• Après la maladie, le travail. Reprendre une trajectoire professionnelle après le cancer, Géraldine L. Magnier, Enrick B Editions, 2018.
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