Après cinq ans à la tête de sa petite entreprise, Anne est contrainte de mettre la clé sous la porte. En actionnant son réseau, elle pense retrouver facilement un poste. Mais même recommandées, ses candidatures n’aboutissent pas. Pour ne pas s’installer dans le chômage, cette quadra accepte finalement un poste sous-dimensionné et une baisse de 35 % de ses revenus. Après 45 ans, 70 % des femmes déclarent faire des concessions sur leur salaire pour retrouver un emploi. Selon une récente étude de l’association Force Femmes, 87 % ont consenti une baisse de 10 % et 35 % ont même accepté de perdre 30 % de salaire… et plus. Cette dégringolade est d’abord du à l’âge. En France, les seniors sont réputés — souvent à tort — moins flexibles, moins mobiles, moins à l’aise avec le numérique… En conséquence, certains employeurs ont tendance à en profiter pour tirer leurs salaires vers le bas. Quitte à s’en mordre les doigts car un collaborateur sous-payé versera, au bout de quelques mois dans la frustration. « Pour les femmes en fin de carrière, le “problème” de l’attention aux autres aurait un impact négatif sur leur disponibilité et leur salaire. Ainsi, après s’être occupé des enfants, les femmes seniors seraient susceptibles de prendre en charge leurs parents vieillissants. Certains employeurs ont intégré cette éventualité et en tiennent compte dans les salaires proposés », constate Dominique Meurs, économiste et professeure à l’université de Paris Nanterre.
Des salaires calés sur l’estime de soi
Ce « crash » salarial trouve également des explications intrinsèques aux femmes. « En arrivant en négociation, dans leur tête, elles ont déjà intégré qu’elles allaient gagner moins et proposent elles-mêmes des compensations. “J’accepte de toucher moins mais en échange, je souhaite des horaires plus flexibles, des jours de télétravail…” Or, souvent, ces contreparties sont accordées sans réviser la charge de travail à la baisse. Les femmes sont donc perdantes », argumente Corinne Cabanes, dirigeante du cabinet de recrutement Cabanes & Associés. Des oublis peuvent « justifier » des écarts de 10 à 20 % par rapport au précédent salaire. « Certaines candidates se présentent en entretien sans avoir pris la peine de reconstituer leur package global de rémunération annuelle. Donc leur salaire bien sûr, fixe et part variable, les primes, les avantages en nature mais aussi éventuellement, l’intéressement et la participation. Si elles oublient d’intégrer l’une de ses données dans leur nouvelle prétention salariale, elles ne peuvent évidemment pas retrouver un niveau de salaire équivalent », insiste Véronique Baschiera, bénévole chez Force Femmes et spécialisée en chasse de tête et insertion professionnelle. Faut-il accepter de toucher moins ? Sur le papier, la réponse est évidemment non. Mais dans les faits, les réalités sont diverses. Colette, juriste, par exemple, 51 ans, n’a eu d’autres choix que de diviser par deux sa précédente rémunération. « C’était ça ou quatre mois plus tard, j’étais au RSA », avoue-t-elle honteusement. Ce déclassement n’a fait qu’empirer son estime de soi. Pour d’autres, accepter une baisse de salaire, est une façon de remettre le pied à l’étrier en sortant du chômage. « Je l’ai abordé comme une période transitoire. Le rythme était moins soutenu qu’avant, cela m’a permis de refaire le plein d’énergie et d’envisager plus sereinement une reconversion », raconte Anne. Stratégie payante. Aujourd’hui, elle a débuté un nouveau job de consultante en recrutement. « En phase d’apprentissage, je n’ai pas encore retrouvé mon salaire de dirigeante mais j’y travaille d’arrache-pied », ajoute-t-elle.
Gagner moins pour bosser mieux ?
D’autres femmes acceptent sans rechigner de baisser leur rémunération car le salaire n’est plus leur priorité (ce qui suppose évidemment d’en avoir les moyens). « À l’occasion de rupture de carrière, elles aspirent à donner plus de sens à leur projet professionnel. Elles sont prêtes à accepter des postes moins exposés, donc à un salaire inférieur, mais elles assument », observe Catherine Bonneville-Morawski, consultante en égalité professionnelle. On trouve également des profils comme Florence (voir témoignage), qui refusent de céder. Enfin, quitte à gagner moins, certaines quadras se lancent dans l’entrepreneuriat. Après un départ négocié avec son précédent employeur, Véronique Jeux aspire à redonner du sens à son travail et à davantage de liberté. Après une formation, elle se lance dans le coaching et crée parallèlement The Flow Fabrik. « Aujourd’hui, je m’épanouis avec les doutes propres à tout entrepreneur. Vais-je atteindre mes objectifs ? Vais-je signer tel contrat ? », raconte-t-elle. Véronique ne perçoit aucune autre forme de rémunération que les allocations Pôle emploi. Le prix de sa liberté. Elle se donne deux ans mais n’exclut pas de devoir retrouver un poste salarié. « Mais à 46 ans, je ne baisserai pas mon salaire. Ras-le-bol de cette chasse aux seniors ! », peste-t-elle.
Négocier son salaire, ça se travaille
Pour que cette question ne pollue pas votre recherche d’emploi — même si sur le papier, c’est toujours plus facile à écrire qu’à faire —, le premier réflexe est de se préparer à parler argent en définissant d’abord votre « prix de marché ». « Décortiquez les études salariales, les conventions collectives, interrogez les syndicats professionnels et les consultants en recrutement sur les grilles de salaire, consultez des offres d’emploi pour évaluer les niveaux de salaire proposés sur les fonctions visées, menez l’enquête via votre réseau sur les rémunérations en vigueur en interne… », conseille Corinne Cabanes. Forte de ces éléments, déterminez un prix plancher et une fourchette de salaire (avec 4 000 à 5 000 euros d’écart) en dessous desquelles vous n’accepterez pas de descendre. « Avoir ces éléments permet, une fois en entretien, de ne pas lâcher sur des choses inacceptables », insiste Véronique Baschiera. Deuxième étape : bombez le torse. Si vous parlez salaire avec l’entreprise, c’est sans doute que vous êtes dans le dernier carré des candidatures retenues et donc que votre profil les intéresse vraiment. « Se dévaloriser est plutôt de nature à faire douter le recruteur. L’entreprise est prête à rémunérer votre valeur ajoutée », analyse Lysiane Villedieu, consultante au sein du cabinet de recrutement Clémentine. Colette n’a par exemple pas hésité à postuler pour un job d’agent de maîtrise alors qu’elle visait un poste de juriste d’entreprise, donc de cadre. « Je leur ai démontré concrètement qu’un junior ne pourrait pas mettre sur pied un service juridique. Moi, je l’ai déjà fait quatre fois. Bilan, j’ai obtenu un statut de cadre avec 40 000 euros annuels. Encore moins que mon salaire de référence mais toujours mieux que les 27 000 euros que j’ai acceptés pour échapper au RSA », raconte-t-elle. Et si on vous assène les fameux clichés sur les seniors ripostez avec du concret. Exemple : « je vous entends mais je ne suis pas sûre qu’en cas d’incident, un junior saurait mettre en place rapidement une communication de crise et gérer le problème. Moi, je l’ai déjà fait dans telle et telle situation. » Toutefois, n’allez pas croire que votre expérience vaut tout l’or du monde. « Si une entreprise n’a pas besoin de vos vingt ans d’expérience pour occuper le poste, elle ne vous paiera pas cette ancienneté », prévient Alain Gavand, consultant en recrutement et en RH. En fonction des attendus sur le poste, ciblez les expériences et réalisations que vous allez mettre en avant. Et si malgré tout, vos prétentions ne sont pas respectées, deux options restent possibles : refuser le poste ou accepter d’en faire un tremplin pour rebondir plus haut ensuite. Les recruteurs préfèrent encore et toujours des candidats déjà en poste plutôt que ceux qui sont au chômage.
Témoignage
« J’ai refusé deux postes sous payés », Florence, 45 ans, responsable administrative et financière d’une librairie
Après dix ans à un poste de comptable, Florence est licenciée en décembre dernier. Séparée et avec deux enfants à charge, elle lance tout de suite ses recherches d’emploi et vise un salaire de 55 000 euros bruts annuels. « Tous les employeurs ont cherché à me faire baisser mes prétentions. Imaginez la période de doute : étais-je surpayée dans mon ancien poste ? », se souvient-elle. Elle refuse ainsi deux emplois rémunérés entre 40 000 et 45 000 euros. Un cabinet de recrutement la positionne finalement sur un poste taillée pour elle. « J’ai accepté l’offre à 50 000 euros avec une réévaluation prévue à 55 000 euros dans six mois. Ma capacité à diriger, mes savoir-faire et mon côté organisé vont me permettre de relever ce défi », explique-t-elle. Mais même en poste, elle ne s’interdit pas d’étudier des offres plus alléchantes.
Pour aller plus loin
- Force Femmes, association d’aide au retour à l’emploi des femmes de plus de 45 ans. forcefemmes.com
- Études salaires de cabinets de recrutement et/ou de rémunération comme Michael Page, Hays ou Robert Half
- Simulateur de salaire sur apec.fr.
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