Quand ses parents programment une sortie au restaurant, Claire, 8 ans, bondit de joie « comme quand on invite une copine à dormir », souligne sa mère, Julie. Sur place, la petite fille choisit minutieusement son plat et demande à goûter ce que chacun a dans son assiette. Une curiosité culinaire réjouissante sauf que… le pédiatre a fait remarquer à ses parents que l’enfant avait une courbe de poids en légère surchauffe. « C’est vrai qu’elle mange vite et qu’elle a un penchant prononcé pour tout ce qui est féculents, fromages, sucré… », note Julie. De ce constat surgit une question pas forcément évidente : comment réfréner la gourmandise excessive sans sabrer dans « le plaisir alimentaire qui est quand même un des plaisirs de la vie ? », rappelle Françoise Léon, psychologue spécialiste du comportement alimentaire.
Tu as encore faim ou tu as envie de manger ?
Pour l’auteure de l’excellent Comment goûtons-nous ? (éditions Le Pommier), il convient, en premier lieu, de ne pas s’affoler. « Il faut regarder la gourmandise avec bienveillance. Dans la vie d’un enfant, il existe des périodes où il a besoin de manger plus qu’à d’autres moments. La question se pose s’il mange rapidement, énormément et si on constate une prise de poids trop importante. Pour autant, je ne suis pas favorable aux régimes amincissants pour les enfants et les ados. On les restreint et, naturellement après, on assiste à un phénomène de compensation… » Mais alors que faire ? On peut déjà essayer de les reconnecter à leurs sensations alimentaires. « Si l’enfant souhaite se resservir, il faut lui demander s’il a encore faim ou s’il a envie de manger, ce qui n’est pas la même chose », estime Françoise Léon. Maman d’un Léon de 10 ans, plutôt favorable à la notion de « rab », Marianne a pris l’habitude de lui poser une question simple : « Qu’est-ce que te dit ton ventre ? ». L’idée étant de « réveiller » les sensations de faim et de rassasiement dont nos enfants se sont parfois un peu éloignés. « Si on constate une perte de ces signaux, il est tout à fait possible de les récupérer, rassure Françoise Léon. Cela peut faire l’objet d’un travail avec un diététicien ou un psychologue spécialisé. »
Le goûter : attention (parfois) danger
S’il est une collation qui doit susciter l’attention des parents, c’est le goûter, souvent synonyme d’orgies de gâteaux pas toujours équilibrés. Pour autant, l’idée n’est pas de priver les becs sucrés de tout ce qui leur fait envie. « Le “ni gâteaux, ni bonbons” peut avoir un effet délétère, estime Françoise Léon. Il crée de la frustration qui peut être à l’origine de grignotage en cachette et de prise de poids que les parents ne comprennent pas. » Pas question non plus de stigmatiser le gourmand avec un goûter à part de ses frères et sœurs. « Tartines et fruits, propose Françoise Léon. Il faut un goûter recevable pour tout le monde. » Julie mise, par exemple, sur le goût prononcé de sa fille pour les fruits : « Elle les adore. Du coup, cela ne lui coûte pas. Et j’ai dégagé de ma cuisine tout ce qui est gâteaux, crèmes desserts, pour son frère comme pour elle. On est passés aux yaourts nature du fromager, plus qualitatifs. » Autre sujet de vigilance : la zone de turbulences située entre la sortie des cours et le retour des parents qui a tendance, quand les ados sont seuls à la maison, à virer au goûter sans fin avec allers-retours innombrables direction frigo. « Si la présence d’un adulte n’est pas possible, on peut prévoir des activités pour qu’il n’y ait pas ce moment de flottement quotidien favorable à l’ennui et donc à l’envie de manger. »
La nourriture, mes enfants… et moi
On le sait, derrière le rapport à la nourriture, il y a une question affective. Et parfois nos appréhensions face à la gourmandise de nos enfants parlent de notre propre histoire. Mieux vaut ne pas tout mélanger. « C’est vrai que, mon mari et moi ayant des problèmes de poids, j’ai tendance à être vigilante sur la question, note Marianne. Je n’ai pas envie que mon fils connaisse les difficultés que j’ai traversées. J’essaie de faire la part des choses, de me dire que Léon, ce n’est pas moi ». Le mari de Julie, plutôt costaud, lance parfois à sa fille en regardant son petit bidon après un repas un peu chargé : « Alors, ça va les jumeaux ? ». Claire rigole de la blague mais Julie se demande si c’est pertinent. « La juste attitude consiste à ne pas juger, à ne pas faire porter à nos enfants nos trajectoires personnelles, rappelle Françoise Léon. Le rôle du parent, c’est d’apporter un cadre : il décide de ce que l’on mange et de quand on mange. » L’apaisement peut aussi passer par le partage. En faisant participer nos enfants à l’élaboration des plats, on leur permet d’acquérir un savoir-faire mais aussi des connaissances nutritionnelles. « Léon vient avec nous tous les samedis au marché. Du coup, il connaît les fruits et légumes de saison », raconte Marianne. « Travailler la nourriture avec ses parents permet de créer un lien précieux », souligne Françoise Léon. Et aussi de mettre en place un rapport plus serein à la gourmandise de sa progéniture. Fourchette apaisée vaut bien mieux que couteaux tirés.
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