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Comme Zanzibar, Samarcande ou Cuzco, Java évoque une destination fantasmée. Les images de végétation luxuriante et surprenante, de temples ancestraux et d’une population bienveillante représentent un cocktail idéal pour tous ceux qui aiment se perdre sans raison sur des chemins de randonnée et partir à la rencontre des autres avec, comme seule envie, l’ouverture. Dès l’arrivée sur l’île, le souffle chaud de la fin de la saison humide, si caractéristique des tropiques, enveloppe. Au loin résonne la voix du muezzin pour l’appel à la prière. De jeunes femmes portent le jilbab, le voile islamique. Qui s’attend à se sentir immédiatement en Asie doit attendre, observer. Chercher les petits signes qui évoquent habituellement le continent. Ici, à Java, île la plus peuplée au monde avec 140 millions d’habitants — sur les 260 millions que compte l’Indonésie — les rituels bouddhistes, musulmans et hindouistes se mêlent sur fond d’animisme.
Trésors culturels exceptionnels
Dans la campagne environnante, le tumulte de la ville laisse place aux sons de la nature. À l’aube, la brume recouvre la forêt tropicale, la flore abondante s’épanouit sous la moiteur et la chaleur ambiante, à la fois suffocante et rassurante. Le long des routes — en très bon état — s’étendent des rizières en terrasse, à 500 mètres d’altitude maximum. Au loin, une femme se transforme en épouvantail vivant pour effrayer les sauterelles et autres oiseaux mangeurs de récolte. Trois fois par an, le riz hybride est récolté au bout de 90 jours, à la main, avant d’être stocké dans un lumbong, un grenier à riz sur pilotis. Les paysans plus âgés utilisent encore le ani ani, un couteau spécial, d’autres préfèrent le tcherouri. Dans les villages, le turquoise ou le doré des dômes des mosquées tranche avec la palette de verts des arbres millénaires et des bananiers aux immenses feuilles. Outre la densité de la végétation, Java a hérité de trésors culturels rappelant les vagues d’immigration successives, des Indiens et Chinois aux colons européens. Depuis Losari, au nord-ouest de Yogyakarta se dessine le plateau de Dieng à 2 008 mètres d’altitude. Les cultures en terrasses, les plantations de thé et de café, les villages aux habitations traditionnelles sont dominés par d’imposants volcans. Au nord de Wonosobo apparaissent huit temples hindouistes, les plus anciens d’Indonésie. Construits aux alentours des VIIIe et IXe siècles face au cratère du Kawah Sikidang, ces édifices, alors immergés dans un lac, ont été découverts en 1814 par un soldat britannique. En cette matinée brumeuse, peu de visiteurs se rendent ici. Deux mamans surveillent leurs enfants escaladant les ruines, des étudiantes se prennent en photo à tour de rôle sur les marches de Candi Arjuna tandis que résonne l’appel de la prière. Trois autres temples se découvrent aux alentours. À deux minutes en voiture, le Kawah Sikidang, en activité, laisse échapper de fortes odeurs de soufre. Un panneau « Hati hati » (attention, en Indonésien) rappelle que l’eau bouillonnante représente un danger potentiel. Le long du chemin balisé, des étals rudimentaires proposent des chips de toutes les couleurs, des pierres ponces et de la poudre aux vertus exfoliantes. De jeunes mariés prennent la pose au milieu de ce no man’s land, décor surréaliste d’un cliché voué à représenter cette union pour l’éternité. La légende raconte que la reine Shinta Dewi aurait refusé la proposition de mariage du roi Kidang Garungan, au corps de cerf. Elle lui aurait ensuite demandé de construire un puits profond sous lequel il fut enterré par ses propres soldats avant la fin de sa construction. Furieux, le roi réussit, par magie, à « exploser » de colère. Le cratère est ainsi né. Une histoire de plus à transmettre de génération en génération, quelle que soit la religion des familles. La spiritualité s’accorde ici au pluriel.
Le plein d’énergie
À deux heures de route se dresse le site le plus visité d’Indonésie, Borobudur. Le graal consiste, pour tout voyageur, à fouler la terre de cet ensemble exceptionnel bâti au IXe siècle au lever du soleil. La centaine de touristes déjà présente à 5 heures du matin peut agacer. Il suffit de vivre égoïstement cet instant pour les oublier et profiter de cette bonne énergie malgré les déclics en rafale d’appareils photos. Le lieu est unique et la vue spectaculaire. Le jour se lève enfin et dévoile un complexe de temples sous forme de stupa, soit la représentation du cosmos en trois parties superposées sur neuf niveaux. Il a fallu attendre sa restauration — de 1907 à 1911 par le gouvernement néerlandais — puis les travaux colossaux menés par l’Unesco à partir de 1973, pour mesurer toute la richesse de ce site abandonné pendant des siècles, recouvert de cendres volcaniques du Gunung Merapi. Une heure plus tard, l’espace semble désert. Les derniers touristes se recueillent, font des selfies, méditent. Et admirent la végétation, les volcans à l’horizon et surtout, les terrasses processionnelles, les galeries carrées, les bas-reliefs relatant la vie de Siddharta, les scènes de la vie quotidienne à Java, les niches aux 432 bouddhas en pierre et les 72 dagobas ajourés. Emplis de ces ondes positives, l’arrivée à Jogyakarta, considérée comme la capitale culturelle, au centre de l’île, s’effectue paisiblement. Les rumah bangsal kencono (maisons traditionnelles) laissent place aux constructions hybrides faites de béton, de bois et de métal, sans harmonie. Le va-et-vient des motos sur lesquelles s’entassent deux, trois ou quatre passagers, les marchés aux odeurs tenaces et aux variétés de fruits et légumes improbables et colorés, les milliers d’épices, dont une incroyable noix de muscade ou une noix de coco râpée et frite à saupoudrer sur le riz s’apprécient en silence.
Prambanan et l’épopée du Ramayana
Loin de l’image de la ville asiatique où règne toujours une certaine effervescence, Yogyakarta paraît tranquille. Même le kraton, palais de l’actuel sultan-gouverneur de la province, Hamengkubuwono X, semble inhabité. Et pourtant, près de 3.000 personnes, dont les hommes, coiffés d’un chapeau noir, d’un sarong et d’un kriss, un sabre traditionnel, y travaillent. Outre l’intérêt touristique du palais, des ateliers de fabrication de marionnettes et de batik, la ville offre surtout l’avantage de se situer à une quinzaine de kilomètres des temples de Prambanan. Le site, également inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, jaillit de terre avec ses trois principaux édifices consacrés à Vishnu, Brahma et Shiva. Sculptures et bas-reliefs narrant l’épopée du Ramayana se découvrent autour de chaque temple. L’ensemble, incarnation de la culture hindoue à Java, impressionne. En fin de journée, vers 17 heures, tandis que le soleil se couche, l’ambiance devient surréaliste. Plus rien ne vient troubler la quiétude ambiante, à l’exception des gardiens rappelant aux derniers visiteurs qu’il est temps de quitter les lieux, apaisés, emplis de cette paix intérieure. Au loin sonne à nouveau l’appel de la prière. Le site de Prambanan ferme ses portes.
Nature spirituelle
Autre site majeur de Java, le parc national de Bromo Tengger constitue une étape incontournable. À 10 heures de voiture, ou 6 heures de train suivi de 2 à 3 heures de route depuis Yogyakarta, vers l’est de l’île, on y découvre le volcan de Bromo, véritable lieu de culte, vénéré chaque année par des milliers de pèlerins. Le plus souvent accompagnés de prêtes, le jour de la pleine lune du mois du Kesodo, ils jettent des offrandes dans le cratère pour remercier les dieux de fertiliser les terres de la région. Assister au lever du soleil sur le site naturel est époustouflant. Depuis un point d’observation installé à 1.800 mètres d’altitude, le panorama sur la caldeira du Tengger est spectaculaire. On aperçoit les sommets de volcans et les plaines au-dessus desquels une légère brume se dissipe rapidement. Il est temps de regagner sa Jeep pour accéder à Bromo. Après une marche d’une bonne demi-heure, enfin, les 250 marches de l’escalier menant au rebord du cratère apparaissent. La procession peut commencer. En haut, la vue est extraordinaire. Un paysage lunaire composé d’une vaste étendue, de montagnes plus ou moins hautes. Et surtout, cette sensation de bout du monde. Avec en fond sonore, cette fois, non pas l’appel de la prière, mais le son mousseux de la lave, prête à nous avaler. Des restes d’offrandes s’accrochent aux parois du cratère. Comme pour rappeler que l’islam, la méditation et les offrandes sont indissociables de la vie javanaise. Un bouillon de cultures à savourer sans modération.
En pratique
Y aller
- La compagnie de référence sur l’Asie-Pacifique Singapore Airlines propose un vol quotidien en A380 vers Singapour (sièges ergonomiques, 1500 programmes à la carte sur chaque écran de 27 cm, repas équilibrés, etc). De là, deux vols quotidiens permettent de rejoindre Yogyakarta (ainsi que vers Surabaya), l’un opéré par Singapore Airlines (singaporeair.com) et l’autre par sa filiale régionale SilkAir (silkair.com). AR Paris-Yogyakarta ou Surabaya en classe économique à partir de 1100 €.
- Prestige Voyages organise des circuits à la carte avec hébergements haut de gamme, activités et guide francophone. Service de conciergerie proposé. Prestige-voyages.com
Où dormir ?
- Mesastila resort & spa. De petites villas traditionnelles au cœur d’une plantation de café. Losari, Magelang. mesahotelsandresorts.com/mesastila/
- Plataran Heritage. Bâtiment d’inspiration coloniale aux chambres ultra-confortables. Magelang, Borobudur. Plataran.com
- Plataran Bromo. Concept surprenant pour ce gîte d’étape de luxe sur les hauteurs de Bromo. Tosari, Pasuruan. Plantaran.com
- Kaliandra Resort. Un éco-resort à l’architecture délirante, ferme bio sur site. Jatiarjo, Pasuran. kaliandrasejati.com
JOURNALISTE : Sokha Keo
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