Elle a été la muse de François Ozon (Huit femmes, Swimming Pool), la comédienne chérie des regrettés Claude Chabrol (La fille coupée en deux) et Claude Miller (La petite Lili, Un secret). Elle a inspiré bien d’autres cinéastes talentueux : Xavier Gianolli, Christophe Honoré… Actrice précoce — elle a entamé sa carrière à l’adolescence —, Ludivine Sagnier, du haut de ses 39 ans, affiche un curriculum vitae à faire pâlir de jalousie nombre de ses consœurs et confrères. On a retrouvé l’actrice cet automne dans Lola et ses frères, le nouveau film du comédien et réalisateur de Jean-Paul Rouve. Dans cette comédie subtile coécrite par l’écrivain David Foenkinos, elle incarne une héroïne, avocate de profession, qui doit composer avec les humeurs imprévisibles de ses deux frangins (campés par José Garcia et Jean-Paul Rouve) et avec ses propres difficultés dans l’existence, elle qui peine à vivre en couple avec son nouveau compagnon (Ramzy) et rêve de donner naissance à un enfant… Énergique et émouvante, Ludivine Sagnier, actrice jusqu’alors habituée aux drames, a profité de l’occasion pour dévoiler de nouvelles facettes de son talent, qu’elle saura sans nul doute exploiter dans les années à venir. Les relations familiales, l’amour pour la comédie, ses désirs pour demain : la comédienne s’explique.
Qu’est-ce qui vous a attirée dans Lola et ses frères ?
Depuis longtemps, j’avais envie de tourner dans une comédie. C’est un registre que je n’ai pas eu beaucoup l’occasion d’aborder. Je connaissais un peu Jean-Paul Rouve et j’appréciais son travail avec David Foenkinos [NDLR : le duo avait déjà coécrit le scénario des Souvenirs, en 2015 ]. Avec eux aux manettes, il y avait la garantie d’une exigence et d’une délicatesse qui ne sont pas si fréquentes dans le paysage de la comédie. Et puis la perspective de jouer aux côtés de José Garcia ne pouvait que me plaire…
Pourquoi une telle évidence ?
José et moi avions joué dans un court-métrage alors que j’avais 13 ans. À cette époque, je n’étais pas sûre de ma vocation et il m’avait dit qu’il croyait dur comme fer en mon avenir d’actrice. Qu’un acteur comme lui m’encourage de la sorte, cela a beaucoup compté pour moi. Pour toutes ces raisons, l’aventure de Lola et ses frères me tentait énormément. Mais la partie n’était pas gagnée d’avance.
C’est-à-dire ?
Jean-Paul a vu beaucoup d’autres actrices pour le rôle de Lola et il a fallu que je passe des essais. J’en garde un souvenir très précis et pour cause ! Alors que nous travaillions avec Jean-Paul sur une scène du film en improvisant façon partie de ping-pong, on ne s’est pas aperçu qu’un assistant avait subi un malaise vagal et qu’il était tombé dans les pommes (rires). Nous étions tellement impliqués sur notre dialogue qu’on avait complètement oublié le monde extérieur. C’était plutôt bon signe pour notre collaboration à venir.
Le film a beau relever de la comédie, il aborde des thèmes difficiles : le chômage, le deuil, le désir contrarié de maternité…
Tous les personnages du film luttent contre leurs défauts et leurs névroses. Ils tentent aussi de bousculer leurs difficultés de communication, les mêmes que celles éprouvées dans la plupart des familles. Jean-Paul sait traiter des sujets douloureux avec un refus de l’insistance et de la démonstration que j’aime beaucoup. Lola et ses frères n’a rien à voir avec une comédie « pouêt-pouêt et gros nez rouge ». Un genre contre lequel je n’ai rien et que je ne détesterai pas aborder un jour.
À vos débuts, vous avez été cataloguée actrice dramatique en tournant avec François Ozon, Claude Chabrol ou Claude Miller. On est presque surpris de vous découvrir dans une comédie.
Il y a un paradoxe. Quand, à l’adolescence, j’étudiais au Conservatoire, j’étais toujours sollicitée pour des partitions comiques et j’en ressentais une intense frustration. J’avais l’impression que je gagnerais ma légitimité d’actrice en interprétant des partitions beaucoup plus sombres. Ensuite, au cinéma, j’ai été comblée dans le registre de la noirceur… Aujourd’hui, j’essaye le plus possible de varier les genres et les plaisirs. Je n’ai pas du tout envie d’être enfermée dans un seul cadre.
Jean-Paul Rouve aime brouiller les cartes avec ses comédiens. José Garcia et Ramzy sont connus pour leurs prestations comiques, mais ils sont très émouvants dans le film.
Jean-Paul est acteur et… il aime les acteurs. Il les comprend et perçoit en eux certaines facettes que d’autres cinéastes ne savent pas forcément distinguer. Ramzy est exceptionnel dans le film : ultrasensible, ambigu. Il prouve qu’il a un potentiel à la Marcelo Mastroianni. Pendant le tournage, en ironisant à peine, je lui ai dit qu’il avait raté sa vie en privilégiant la comédie (rires) !
Est-ce que cela change beaucoup de choses pour vous d’être dirigée par un cinéaste qui est également un acteur ?
En l’occurrence, oui. Jean-Paul se tient à l’écoute, aime travailler au plus près de ses comédiens et reste toujours attentif à leurs suggestions. Il n’a pas d’ego déplacé : la seule chose qui lui tient à cœur, c’est le bien du film. Pendant le tournage, lui et moi avions des rapports qui ressemblaient à ceux d’un frère et d’une sœur. On pouvait se chamailler, mais rien ne pouvait entamer notre complicité.
Jean-Paul Rouve a écrit un film sur une fratrie alors qu’il est fils unique. C’est également votre cas ?
Non, j’ai une sœur, ce qui change beaucoup de choses, même si, par définition, une sœur n’est pas un frère…
Vous auriez aimé avoir un ou plusieurs frères ?
Je n’en ressens pas de frustration. J’ai rencontré un certain nombre de frères d’adoption. J’ai souvent été entourée d’hommes bienveillants dans ma vie et c’est une grande chance et peut-être pas un hasard.
Pourquoi ?
Malgré mon physique que je crois pouvoir définir comme très féminin (rires), j’ai un côté garçon manqué. Depuis l’enfance, j’ai toujours su entretenir des relations de potes avec les garçons et, aujourd’hui encore, j’ai beaucoup d’amis hommes avec lesquels je me sens très bien. Attention : je ne vous vends pas le cliché de la fille qui a un meilleur copain homo hyper délicat. Je suis amie avec des garçons de toutes sortes, y compris hétéros et très virils !
Après Lola et ses frères, vous espérez jouer bientôt dans d’autres comédies ?
Bien sûr ! Mes films à venir — entre autres la prochaine fiction de Fabienne Bertheaud avec Cécile de France et celle du Japonais Hirokazu Kore-eda avec Juliette Binoche et Catherine Deneuve — ne s’inscriront pas dans cette veine, mais ensuite, à l’horizon 2019/2020, je vais pouvoir me lâcher. Tant mieux ! J’en suis persuadée : il y a un clown ligoté en moi qui ne demande qu’à se libérer de ses chaînes.
Vous ne chômez pas…
Ces dernières années, je n’ai pas été très présente sur les écrans, alors, désormais, j’ai bien le droit de me rattraper.
Pourquoi cette discrétion ?
Beaucoup de projets sur lesquels je m’étais engagée n’ont pas abouti faute de financement, ce qui en dit long sur les difficultés du cinéma ambitieux. Depuis un an, par contre, les films s’enchaînent. J’ai pour habitude de ne faire que ce qui me plaît et voir des projets singuliers se concrétiser me réjouit.
Quand vous tourniez moins, étiez-vous inquiète pour votre carrière ?
Non. J’ai profité de ces périodes pour m’occuper de ma vie privée. J’ai construit des bases solides pour mes enfants, ce qui est l’essentiel. Et je ne suis pas sûre d’être moins inquiète quand je travaille plus (rires). Ni le travail ni le succès éventuel ne garantissent la sérénité. En fait, je crois être assez constante : il y a du boulot, je fais avec. Il n’y en a pas, je fais avec aussi. Et puis, je n’aime pas les acteurs qui parlent à n’en plus finir de leurs doutes, de leurs peurs et de leurs états d’âme. Pour parler crûment, je trouve même ça profondément… chiant.
Vous avez toujours été aussi zen et distanciée ?
J’ai beaucoup travaillé pour parvenir à cet équilibre. Je suis un peu comme Lola dans le film de Jean-Paul : je me bats pour la légèreté, quelles que soient les circonstances. Malgré les entraves, Lola va toujours vers son bien-être, vers son bonheur et elle ne lâche jamais rien. Ces traits de caractère sont aussi les miens.
Quand vous vous retournez sur votre carrière, vous en pensez quoi ?
Vous voulez dire quand je me retourne sur ma longue carrière (rires) ! C’est très simple : j’ai déjà tellement dépassé mes rêves que je m’estime en bonus depuis quinze ans. Quand j’ai commencé, je m’imaginais travailler au théâtre, faire des petites tournées, pas plus. Je ne fantasmais pas sur le fait de devenir une actrice de cinéma connue.
Accéder à la notoriété à 20 ans ne vous a pas fait peur ?
J’étais beaucoup plus angoissée à cette époque que maintenant. Mais le fait de construire une vie personnelle stable en dehors du cinéma m’a aidée. À mes débuts, tout allait vite, parfois trop, et je me félicite d’avoir résisté à certains faux-semblants de ce métier. En fait, mon vrai but depuis que je suis toute petite, c’est de devenir une vieille femme heureuse et sans regrets. Je pense être sur la bonne voie.
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