Elle nous a époustouflés l’automne dernier dans Jalouse, de David et Stéphane Foenkinos une comédie grinçante où elle incarnait une quinquagénaire qui cherchait à pourrir l’existence de ses proches : sa fille, son ex, ses collègues de travail… Elle nous enchante cet été dans Bécassine, de Bruno Podalydès, une comédie farfelue adaptée de la bande dessinée conçue au début du xxe siècle par l’écrivaine Jacqueline Rivière. Dans ce film 100 % délirant, Karin Viard incarne la marquise de Grand-Air, une aristocrate rêveuse et excentrique qui engage la naïve Bécassine pour s’occuper de sa fille adoptive : Loulotte. Entourée d’acteurs en grande forme (Emeline Bayart, Denis Podalydès, Josiane Balasko), Karin Viard se déchaine dans cette fiction euphorisante qui confirme sa prédilection pour les partitions inclassables. Une nouvelle réussite pour l’actrice qui, depuis ses débuts dans les années 90, n’a jamais déçu et s’impose désormais comme l’une des personnalités les plus populaires du cinéma français. Aussi à l’aise dans les comédies grand public ambitieuses (La Famille Bélier, de Eric Lartigau) que dans les films d’auteurs atypiques (21 nuits avec Pattie, des frères Larrieu), Karin Viard trace sa route en ne se souciant que de sa liberté. Elle s’explique sur ses choix.
On vous a quittée dans Jalouse, des frères Foenkinos, l’hiver dernier, on vous retrouve dans Bécassine, cet été. Qu’est-ce qui guide vos choix ?
Tout simplement le désir. Il est par nature très fragile. Et aussi très difficile à définir. Pour Jalouse, j’aimais autant l’histoire que le personnage. Il y avait du grain à moudre pour une actrice. Pour Bécassine, c’est avant tout la personnalité de Bruno Podalydès qui m’attirait. Voilà quelqu’un qui fait confiance dans l’intelligence du spectateur. Il ne se sent pas obligé de tout souligner. Il mise sur la sensibilité et la poésie que chacun porte en lui, les gamins comme les adultes. J’adore ! Quand on fréquente Bruno sur le plateau de tournage, on devient d’ailleurs comme lui, on perçoit les choses avec sa fantaisie. Bruno est contagieux et c’est merveilleux.
Avant de tourner le film, que représentait Bécassine, pour vous ?
Honnêtement, pas grand chose ! Cette petite Bretonne avec sa tenue verte et son parapluie appartient à notre culture nationale, mais ses aventures remontent quand même à un siècle… Cet univers semble désuet aujourd’hui, mais à l’époque, transformer une bonne provinciale en héroïne populaire était tout de même assez gonflé. C’était presque un acte politique !
Comment Bruno Podalydès vous a-t-il présenté le film ?
À la Bruno Podalydès ! C’est-à-dire qu’il ne me l’a pas présenté (rires) ! Avec lui, la fantaisie n’a pas besoin d’être justifiée par des explications de texte. Même les choses les plus incongrues lui paraissent naturelles. Du coup, je n’étais pas étonnée qu’il se lance dans l’aventure de Bécassine. Pas étonnée, mais ravie !
Vous souhaitiez tourner avec lui depuis longtemps ?
Oui. J’étais enchantée qu’il fasse appel à moi. Depuis toujours, j’aime son univers. Même si chacun de ses films est différent, il creuse toujours le même sillon. Je le définirais ainsi : le bonheur de l’existence. Bruno sait rendre compte des petits moments aimables de la vie. Ce n’est pas rien, convenons-en… Bruno s’amuse avec les travers des uns et des autres, il rit avec l’absurdité de notre condition humaine, mais tous ses films sont comme des bulles de champagne, pétillantes et délicieuses.
Bruno Podalydès n’a jamais songé à vous proposer le rôle de Bécassine ?
Jamais, je suis beaucoup trop vieille pour ça (rires). Et il a eu le courage d’engager pour ce rôle une actrice, Emeline Bayart, qui n’est pas très connue du grand public. Cela renseigne sur son audace. Or, l’audace est un bien précieux.
Comment définiriez-vous votre personnage, la marquise de Grand-Air ?
La marquise a beau être la patronne de son vaste domaine, elle n’agit pas comme tel. Pour elle, qui est victime d’un ennui considérable, toutes les distractions sont bonnes à prendre et elle agit avec une légèreté et une insouciance que j’aime beaucoup. En fait, elle est moderne dans son attitude. Quand elle se retrouve au bord de la ruine, elle prend les choses avec philosophie. Elle traverse l’existence avec une indifférence pour les contingences matérielles. Son attitude est objectivement dingue, mais foncièrement sympathique.
Vous semblez avoir pris beaucoup de plaisir à l’incarner…
Oui. Et ce plaisir était d’autant plus intense que ma partition était inédite : je n’avais encore jamais interprété une femme de ce genre. En général, mes héroïnes sont terriennes, concrètes. La marquise elle, c’est une flottante : elle plane.
Un aspect de sa personnalité que vous partagez ?
Absolument pas (rires) ! Je n’ai pas sa légèreté. Caresser son chien peut lui suffire pour apprécier l’instant présent. Je ne suis pas du tout comme ça. Elle n’attend qu’une chose : être distraite, surprise. C’est pourquoi elle tombe en pâmoison pour le saltimbanque qui débarque dans sa vie. Elle n’attendait que cela. Sa passion pour lui n’a rien de raisonnable. Mais la raison, c’est la dernière chose qui lui importe.
Bécassine n’a rien d’un film parisien, si ?
« Parisien », je ne suis pas sûre de savoir ce que cela signifie. Si vous sous-entendez que les films se déroulant dans des lofts de 200 m2 et dans milieux aisés sont forcément inintéressants, je ne suis pas d’accord. Il y a des films qui ont des choses à dire et d’autres non, un point c’est tout.
Bécassine est une ode à la fantaisie. Est-ce un film atypique dans le cinéma français ?
On est loin du Petit Nicolas et des adaptations de ce genre, c’est un fait. Bécassine est tourné dans une économie plus modeste, ce qui ne l’empêche pas de posséder une ambition populaire. Cette économie modeste n’est d’ailleurs pas sans atout : elle permet à Bruno d’engager Emeline Bayart dans le rôle principal car tel est son souhait et elle l’autorise à ne pas censurer sa propre excentricité et originalité. Et c’est précisément ce qui m’intéresse ! Et je constate qu’elle intéresse souvent le public. Il n’y a aucune rouerie dans Bécassine. Ce n’est pas un film qui exploite des recettes déjà cuisinées mille fois ailleurs. Pourtant, même s’il n’a pas été calibré pour réaliser trois millions d’entrées en trois semaines, je suis persuadée que le film peut séduire un large public.
Ce type de films originaux rencontre de plus en plus de difficultés pour être financés…
En effet. Depuis quinze ans, je constate que la diversité des productions a pris un sérieux coup. Les projets de comédies sont de plus en plus nombreux, alors que les autres genres cinématographiques souffrent. De même, beaucoup de gros films, reposant sur des schémas prévisibles, sont produits avec énormément d’argent, alors que d’autres projets vivotent dans une économie précaire, avec trois balles ou peu s’en faut. Ce sont les films dans l’intervalle, ceux que l’on appelle les films du milieu, qui souffrent le plus. C’est d’autant plus regrettable que c’est à cet endroit-là que se nichent les projets originaux et potentiellement les plus populaires.
Comment expliquez-vous cet appauvrissement ?
Les cinéastes originaux n’ont pas disparu du paysage. Simplement, ils ont moins les moyens de s’exprimer. Aujourd’hui, on ne rencontre plus aussi souvent des producteurs passionnés comme, en leur temps, un Claude Berri ou un Humbert Balsan, qui étaient prêts à tout pour financer des projets singuliers. On croise de plus en plus de jeunes gens issus d’écoles de commerce qui appliquent des plans de financement, mettent en œuvre des politiques de management, et qui, disons-le poliment, ne placent pas l’artistique au premier plan. Avec ces jeunes gens, on ne parle pas forcément le même langage…
Tous vos derniers films sont des comédies…
Et pour cause, puisque ce sont les films qui parviennent à se monter le plus facilement ! 80 % voire 90 % des projets que je reçois relèvent de la comédie. Cela dit, je ne me plains pas. J’aime la comédie et celles que l’on me propose sont très stimulantes.
Le drame vous manque ?
Oui, comme me manquent d’autres genres. Mais encore une fois, je ne me lamente pas. Je me considère même comme super vernie ! Je constate simplement, en tant qu’actrice et en tant que spectatrice, un appauvrissement de l’offre. Et je le regrette.
Quels sont vos prochains projets ?
Deux films sortiront sur les écrans à la rentrée : Les chatouilles, d’Andréa Bescond et Eric Métayer et Voyez comme on danse, de Michel Blanc. Et je vais prochainement entamer le tournage de l’adaptation de Chanson douce, le livre [prix Goncourt 2016, NDLR] de Leïla Slimani, tourné par Lucie Borleteau.
L’argument de Chanson douce — deux enfants assassinés par leur nounou — ne relève en rien de la comédie !
Et cela m’enchante (rires). C’est un film noir, très noir même, avec un personnage a priori terrifiant. Cela fait très longtemps que je n’ai pas incarné une héroïne de ce genre. J’avais tellement envie de l’interpréter que les droits d’adaptation du livre ont été achetés à mon instigation. Il faut savoir prendre son destin en main. Pour jouer de tels rôles, qui racontent des choses essentielles sur notre humanité, les acteurs doivent parfois se déterminer eux-mêmes. Avec Chanson douce, je vais radicalement changer de registre et je m’en félicite.
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